Mahmoud Abu Zeid dit « Shawkan » a 26 ans et toutes ses dents. On le sait parce qu'il sourit souvent sur les photos d'avant 2013. Mais ça, c'était avant le 14 août, date à laquelle il a arrêté de sourire. Et pour de bon. Ce matin-là, au Caire, il photographie le démantèlement des camps de la place Rabia-El-Adaouïa par l'armée. Et tout s'emballe, comme souvent dans l'Égypte d'après 2011 : rues barrées, arrestation sans distinction, viendront ensuite les tirs sans sommation. Shawkan est arrêté, avec lui le photographe français Louis Jammes et le journaliste américain Mike Giglio. Ces deux-là seront relâchés quelques heures plus tard, nationalités obligent. Pas le jeune Égyptien. Attaché, insulté, battu, savaté au sol comme un chien, fouetté à coup de boucles de ceinture, très fort dans les yeux pour qu'il n'oublie pas qui est le maître. On lui prend tout : son matériel, ses chaussures, sa dignité, sa liberté. Mais on lui laisse les cris de ceux qui meurent dans le camion d'à côté, au gré des transports entre prisons.
Bienvenue à celle de Tora ! Une prison-cimetière où « les rêves viennent mourir », écrira Shawkan en 2015*. Voilà plus de trois ans qu'il y pourrit désormais. À treize dans 12 mètres carrés, kitchenette incluse et collée au trou puant qui sert de toilettes aux détenus. Avec en prime une hépatite C sans autorisation de traitement. Après deux années sans jugement, un procès est entamé en décembre 2015, mais régulièrement ajourné. Selon https://www.amnesty.org/fr/get-involved/take-action/journalism-is-not-a-crime-free-shawkan/, il est accusé entre autres d'homicide, de tentative d'homicide et de possession d'armes. Peine encourue : la mort.
« Il ne portait pas d'arme à Raba'a. Il n'avait rien d'autre sur lui qu'un appareil photo Leica », a témoigné Louis Jammes. Ni fusils ni couteaux. Rien d'autre qu'un malheureux Leica. Mais c'est vrai que certains régimes n'aiment pas les témoins indésirables, comme les journalistes ou les photographes. Et Shawkan n'a jamais cessé d'en être un, c'est aussi pour cela que l'on piétine allègrement sa manière de vivre et de voir le monde à travers son objectif : « Ma passion est la photographie, mais je paie le prix de cette passion avec ma vie. »
Liberté pour Shawkan.
* Dans https://www.amnesty.org/fr/get-involved/take-action/journalism-is-not-a-crime-free-shawkan/, relayé sur le site du CPJ (Committee to Protect Journalists) qui est une ONG indépendante et à but non lucratif qui défend la liberté de la presse dans le monde