Nan, un mois après avoir été battue, 1984 © Nan Goldin
1984. Les bleus insupportables. Ceux d'ailleurs qui tirent plus vers le jaune, le rouge ou le vert comme sur ce cliché de Nan Goldin. Rouge à lèvres écarlate, grappes de cheveux roux bouclés, à la Louis XIV, petites perles blanches, boucles d'oreille et tout ce sang qui lui mange encore l'oeil. Un mois après que son petit ami l'a battue. La photographie est devenue quasi iconique. Goldin - sans nier l’ambiguïté autodestructrice de l'artiste - regardait et donnait à voir la violence ordinaire, en face à face.
1982. Deux ans avant elle et dans une entreprise documentaire ici assumée,http://www.ellesimaginent.fr/" montrait comme personne ne l'avait fait avant elle la violence domestique prise sur le fait. Photographiée pendant les coups. Au moment même où Garth s'en prend à Lisa, dans leur grande maison du New Jersey. Elle consacrera la décennie suivante à ce qui est plus qu'un sujet à ses yeux. http://www.ellesimaginent.fr/"paraîtra en 1991. Vivre avec l'ennemi.
Diana, Minneapolis Emergency Room, 1987 ©Donna Ferrato
2016. Amber Heard aurait-elle dû avoir sous la main sa Donna Ferrato ? Comment prouver que l'on a été battue quand la violence se passe dans le secret d'un entre-deux ? Dans cette vie avec l'ennemi ? Il y a les photos bien sûr, mais là encore l'image devient suspecte si elle n'est qu'autoportrait. Impossible pour le moment d'affirmer que ces coups ont été ou non portés par Johnny Depp. Justice et police feront leur travail.
Ce qui est intéressant en revanche, ce sont les réactions de haine que ces clichés ont pu susciter... à l'encontre de la jeune femme. Devenue subitement l'incarnation de Satan sur terre, la fourbe bisexuelle, l'infâme blonde aux courbes tentatrices. La « salope » quoi. Celle dont on adore se dire qu'elle mérite un peu ce qui lui arrive, avec son petit air insolent et coquin. Celle qui ne viendra pas se plaindre si elle se retrouve dans des « situations de libertinage incompris ». Le combat commence ici. Contre ce discours, quotidien lui aussi, faussement anodin, vicieux, décomplexé comme un Denis Beaupin à un défilé de majorettes. Cette violence-là ne laisse pas de bleus. A l'âme tout au plus. Mais où qu'ils soient, je ne supporte pas les bleus.