Capture d'écran Periscope
A ceux qui en étaient restés au sous-marin et à son tube métallique équipé d’un système optique, petite remise à niveau. Periscope est une application née en 2015 et qui permet à ses utilisateurs de filmer et retransmettre un événement en direct. Rachetée par le réseau social Twitter, elle s’est incrustée ces derniers mois au cœur de l’actualité. Des prouesses verbales les plus affligeantes, grâce au « poète » et joueur du PSG, Serge Aurier, aux actes les plus cyniques, comme l’agression d’un homme par deux adolescents en avril dernier, en passant par une utilisation quasi politique autour du phénomène « Nuit Debout ». Du pire au meilleur en somme. Car le but originel de ce tout jeune outil n’était évidemment pas de donner à voir l’insoutenable. « Explorez le monde à travers les yeux des autres » qu’ils disaient. « Et si vous pouviez littéralement voir ce que voit un manifestant en Ukraine ? Ou regarder le lever du soleil depuis une montgolfière en Cappadoce ? » . Les intentions étaient louables, ambitieuses, altruistes. Loin hélas de ce que ces derniers détournements médiatisés en ont montré.
« Et si vous pouviez littéralement voir ce que voit quelqu’un qui se jette sous un train ? » : personne n’aurait pensé à poser cette question. Periscope n’a évidemment tué personne. Elle est néanmoins devenue l’arme du crime, celui perpétré contre l’intimité, la pudeur, l’amour-propre, l’intelligence, la distance critique. Contre le temps surtout.
Le temps titanesque d’abord. Dans un post du 28 mars 2016, l’application s’autocongratulait en soulignant que l’équivalent de 110 années de vidéo live étaient regardées chaque jour. Ouhaou. Génial. 110 ans de vidéos de gens qu’on ne connaît pas qui se manucurent les doigts de pieds ou se gratte la raie sur une journée. Même en Cappadoce, c’est moyennement enthousiasmant.
Le « temps réel » ensuite. Le « direct » comme on dit, celui qui donne l’impression d’être en phase avec le monde, d’embrasser la « vraie vie ». Mais quelle réalité regarde-t-on - à travers un écran - si l’on n’a pas les moyens de l’analyser ? Que donne-t-on à voir de soi et de sa « vraie vie » si l’on n’a pas non plus les moyens de s’analyser ? Comme Facebook, Instagram, Twitter ou Snapchat, Periscope découvre elle aussi le côté obscur de sa force sociale, ce tout à l’égout, ce tout à l’image, ce tout de suite maintenant dont on serait devenu, semble-t-il, complètement dépendant.
L'histoire du RER C a le goût du désespoir absolu et de cette dépendance mortifère. Dans la dernière vidéo postée par la jeune fille et selon les internautes qui l’auraient vue, http://www.lemonde.fr/societe/article/2016/05/11/le-parquet-d-evry-ouvre-une-enquete-apres-le-suicide-d-une-jeune-femme-en-direct-sur-periscope_4917339_3224.html nous apprend qu’Océane aurait accusé son ex-petit ami de l’avoir violée et... d’avoir diffusé les images de cette agression sur Snapchat.