© Na-Son Nguyen
L'histoire du cliché de https://twitter.com/nasonnguyen" n'a donc rien d'une fable. Elle est juste le témoignage bien réel du pouvoir de l'image et de sa manipulation. Ou comment émouvoir/toucher/manipuler/faire « banquer » le (bon) peuple en lui proposant un cliché de deux petits enfants adorables et terrifiés. https://twitter.com/nasonnguyen".
Tu les aimes mes deux petits Népalais en détresse ? Tu les aimes mes deux petits réfugiés syriens solidaires ? Tu les aimes mes deux petits Philippins malheureux ? Hé oui, c'est la magie de l'image réutilisable à l'infini, se propageant comme une bonne syphilis sur les réseaux sociaux et que chacun partage avec le (bon) sentiment d'avoir contribué à un monde meilleur. Un post. Un clic. Un tweet. Un Nobel ? On serait à deux doigts en effet de se remettre un prix pour avoir fait l'acte de solidarité ultime : la mise en ligne d'une photo d'enfants tristes.
Alors bon, pas n'importe quel enfant par contre. Pas du moche ou du boutonneux. Pas d'ado donc. On a bien dit « enfant ». Car quoi de plus mignon qu'une photo d'enfant ? Hein, je vous le demande ? À part une photo de chaton, franchement on voit pas. Sur l'échelle de la mignonnitude et de la capacité à susciter une niaiserie compassionnelle, les petites têtes blondes, brunes ou rousses sont super bien placées. Une bonne deuxième position. La troisième place allant incontestablement au loris, petit lémurien probablement capable d'émouvoir un corps de légionnaires ou Robert Ménard. C'est dire.
Bref.
Comme le rappelle intelligemment le photographe, écrivain et voyageur Na-Son Nguyen : « Une photo ne dit que la moitié de la vérité et le photographe doit dire l'autre moitié. Parce que les images peuvent mentir ». L'homme a dû se justifier et expliquer le vrai contexte de sa photographie, via Twitter, afin de mettre fin à ce mensonge viral. Pas simple. Sa voix peine à se faire entendre. L'image en question a notamment été utilisée pour illustrer le drame népalais par le compte @HistoricalPics et ses plus de 2 millions d'abonnés le 1er mai dernier. Le tweet n'a toujours pas été supprimé.
Faire dire n'importe quoi à une image n'est pas nouveau, c'est même un classique, et celle du petit enfant malheureux fonctionne toujours.https://twitter.com/nasonnguyen", qui avait fait le tour de la toile, le monde s'émouvant du geste de ses petites mains levées face à l'objectif d'un photographe. Ce dernier avait confirmé cette version de l'histoire. Ce qui gênait pourtant là encore, c'est l'instrumentalisation totale d'une enfant à qui l'on ôtait son identité en la réduisant à un symbole douloureux, mais finalement très photogénique. On a fait la même aux deux enfants vietnamiens en rendant leur photo interchangeable.
A quand la carte postale donc ? Qu'on puisse la mettre au-dessus de nos toilettes, à côté d'un bébé déguisé en abeille et de deux chatons qui se font un câlin ? Miaou.
Emilie Lemoine