Kodak “Shirley” - Adam Broomberg & Oliver Chanarin
Mer Méditerranée, Baltimore... Le noir ne semble pas être la couleur tendance de la saison printemps/été 2015.
L'a-t-elle été un jour d'ailleurs ?« https://www.dailymotion.com/video/x2o4viv_fatou-diome-dans-ce-soir-ou-jamais-l-essentiel_news"» : la colère salutaire et éclairée de Fatou Diome dans l'émission Ce soir ou jamais a dit tout haut ce que trop peu (hélas) pensent tout bas. L'inertie politique face au drame des migrants est une posture clairement raciste, mais non assumée.
Et au-delà d'une discrimination raciale de fait, elle pose aussi la question des représentations. Sommes-nous devenus blasés et insensibles face aux images de la souffrance noire ? Aurions-nous les mêmes réactions si elle était plus « pâle » ? S'il s'agissait de photos d'hommes blancs, de femmes blanches, de bébés blancs entassés sur des radeaux ou flottants inertes sur l'azur agité de la Méditerranée ?
Définitivement pas tendance la couleur noire ? L’histoire de la photographie semblerait aller dans ce sens et https://www.dailymotion.com/video/x2o4viv_fatou-diome-dans-ce-soir-ou-jamais-l-essentiel_news" tape dans le mille, et ce jusqu'au 3 juin.
Les deux artistes ont décidé d'explorer l'histoire compliquée - pour ne pas dire pourrie jusqu'à la pellicule - de la relation photographie/race.
Le titre de leur exposition annonce à lui seul la couleur (sans mauvais jeu de mots... ou presque) : « To Photograph the Details of a Dark Horse in Low Light » (« Photographier les détails d'un cheval noir à basse lumière ». Pour le comprendre, il faut se souvenir du modèle officiel que la compagnie Kodak avait choisi dans les années 1950 : Shirley, Blanche idéale au grain de peau parfait, aux lèvres rouges et aux grands yeux bleus. Son portrait était envoyé à tous les labos du monde pour servir de référence. Ultrabright la référence. Plus tard, Godard dira d'ailleurs que la pellicule Kodak était intrinsèquement raciste parce qu'elle était meilleure à dépeindre la peau blanche plutôt que la peau noire. Dans les années 1980, Kodak décide finalement de se mettre à la couleur. Pour de vrai ! Le chef de l'entreprise décrit alors cette pellicule par ces mots « capable de photographier les détails d'un cheval noir à basse lumière ». L'animal, plutôt que l'humain. L'art de l'euphémisme ou du racisme ordinaire, c'est selon.
Mais Kodak n'a pas eu le monopole de la ségrégation photographique. Polaroid n'a pas chômé non plus. Broomberg et Chanarin rappellent la rébellion de Caroline Hunter, jeune chimiste chez Polaroid dans les années 1970, qui mettra en lumière comment la firme soutenait indirectement le régime de l'Apartheid en fournissant leurs fonctionnels petits appareils au régime en place. Très utiles pour ficher les Noirs et illustrer ce carnet qu'ils devaient porter partout avec eux. Leur étoile noire en quelque sorte.
Alors bon, les temps ont changé, les progrès techniques, le numérique et compagnie ont su redonner ses couleurs de noblesse à la peau noire. Mais quand même parfois, le toujours zélé Photoshop ne résiste pas à l'envie folle d'éclaircir, de remettre du blanc et de la lumière sur des épidermes jugés trop noirs. Senghor disait : « Les racistes sont des gens qui se trompent de colère. » Colère, couleur : à quelques lettres près, tout est dit.
Emilie Lemoine