The Neighbors © Arne Svenson
C'est le cas d'Arne Svenson, le photographe le plus voyeur de la ville de New York. Il a pris en photo ses voisins d'en face pendant plus d'un an. Et l'on ne vous parle pas d'un petit cliché par-ci par-là. Non non. Arne a vu les choses en grand et a pris des milliers d'images d'anonymes. Dans leur intimité et sans leur consentement évidemment. Sinon c'est beaucoup moins drôle. En 2012, la série The Neighbors est donc née, dans le secret d'un appartement de Tribeca. Elle a rapidement connu la lumière du succès et celle, plus vive et plus piquante, du scandale et des poursuites judiciaires.
En effet, quelle ne fut pas la surprise du couple Foster alors qu'il découvre la photo de la mère (Martha) et sa fille dans leur appartement dans le magazine par le Tribeca Citizen ? On imagine : « Martha, viens donc voir, c'est pas ton bras là ? Et c'est pas chez nous d'ailleurs ? » Oui parce que ce qu'on a oublié de préciser que sur les photographies de Svenson la plupart des gens ne sont pas vraiment identifiables et qu'elles ne sont ni titrées ni datées. Le cas des Foster était l'exception qui a confirmé la règle et le recours à la justice. La plainte soulignait le fait qu'ils « https://iapps.courts.state.ny.us/fbem/DocumentDisplayServlet?documentId=xfy1AdVZ3RB8DWxeAVDt0g==&system=prod" » On peut comprendre...
Et pourtant la petite famille Foster a pu aller se rhabiller (derrière ses stores fermés) puisqu'en août 2013, la Cour suprême de l'état de New York statue en faveur de Svenson. Et pas pour n'importe quelle raison s'il vous plaît ! Elle invoque ni plus ni moins que le sacro-saint premier amendement sur la liberté d'expression. Elle ajoute que le travail du photographe n'est pas destiné à la publicité ou à la vente : ses photos sont de l'art et par là même deviennent une œuvre d'intérêt public. Quitte à faire fi de la violation de l'intimité, droit lui aussi constitutionnel. Il y a eu appel, et ce n'est que le 9 avril dernier que la cour a bel et bien confirmé son verdict.
L'Art 1 / Les Foster 0
Il y avait déjà eu un précédent. Souvenez-vous en 1999, Philip-Lorca diCorcia et son appareil photo s'installent à Time Square, le temps de canarder au hasard des flashes les passants qui défilent. Essence même de la photographie de rue. Le projet dure deux ans et est montré lors de l'exposition « Heads » à la galerie new-yorkaise Pace/MacGill Gallery. Mais lorsque Erno Nussenzweig, juif orthodoxe et marchand de diamant à la retraite, voit sa photo dans le catalogue de l'exposition, il devient aussi colère que les Foster et décide de poursuivre. Débouté aussi : la cour juge que le droit du photographe à l'expression artistique l'emporte sur le droit à la vie privée de l'individu.
L'Art 1 / Nussenzweig 0
Pace/MacGill Gallery, New York © Philip-Lorca diCorcia
L'homme désigné par le titre "Head No. 13, 2000" est Erno Nussenzweig.
Ouais. Un cliché pris dans le métro donc. À ce moment précisément où la fatigue vous creuse l'oeil jusqu'à la joue, que vous êtes à deux doigts de régurgiter votre petit déj', rapport à l'odeur d’aisselle de votre voisin moite, et que ce jour là précisément vous avez mis ce pull kaki qui vous fait un teint de cadavre en décomposition. Et tout ça finir dans une galerie au milieu d'un public arty habillé chez Isabel Marant et maquillé chez Dior. Pour l'amour de l'art en somme.
Que celui qui a envie de jeter la première pierre vise (bien) l'appareil photo…
Emilie Lemoine