2014. Plus besoin de poser de question. Le selfie le fera pour vous. BB prendrait un « selfesse » (sous-catégorie du selfie qui consiste à prendre son postérieur en photo dans la glace), l'enverrait à Michel qui lui répondrait par un laconique « TBC » (sigle grossier relatif à l'extrême beauté du postérieur en question). Fin de la scène. Coupez.
Le narcissisme n'a finalement rien de nouveau, mais le web et les réseaux sociaux ont démultiplié ses moyens d'expression. Bref, on en connaissait déjà beaucoup sur le selfie : comment passer à côté de ces petites perles d'autocélébration photographique ? Trois catégories le plus souvent : la (pré)puberté, l'alcool et le tourisme.
La première verra de jolies Lolita travailler leur duckface glossée dans la solitude d'une chambre pastelle, de peluches angora et de posters de Justin Bieber. C'est le selfie qu'on regrettera un jour.
La seconde réunira des bandes d'amis imbibés d'alcool, l'oeil mi-clos, le sourire niais, un dessin de pénis géant sur le front. C'est le selfie qu'on regrette le lendemain.
La troisième, et c'est celle-là qui nous intéresse, met le lieu de la photo en avant : une Tour Eiffel, un Empire State Building, un Machu Pichu... C'est le selfie qu'on ne regrette jamais et qu'on aime balancer sur Facebook pour montrer à tout le monde combien notre vie est formidable et merveilleuse. C'est d'ailleurs sûrement ce qu'ont dû se dire tous ces gens qui ont eu la lumineuse idée de http://www.dailymail.co.uk/news/article-2874191/Selfie-disgrace-Shameful-file-people-posing-pictures-scene-Sydney-terror-siege.html". Montrer ô combien leur existence était passionnante en prenant leur visage souriant sur la scène d'un drame en train de se jouer où un forcené menace de tuer les clients d'un café. En direct live. Vous imaginez le super selfie à envoyer à ses amis !? Ambulance en arrière plan ou équipes de télé, l'essentiel est de choisir sa meilleure prise de vue. Le selfie "prise d'otage". On n'y avait pas pensé ! Mais pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? Note pour plus tard : penser aux accidents de voiture, aux incendies, aux bons gros attentats qui tuent et qui tâchent. Des nuages de fumée, un arrière plan de flammes ou d'enfants agonisants, c'est quand même autre chose qu'une prise d'otage où rien ne se passe avant des heures, non ?
« La bêtise humaine est la seule chose qui donne une idée de l’infini. » a dit Ernest Renan. Pas faux. Enfin on repassera pour le côté « humain ». A défaut d'en pleurer, mieux vaut en rire. Et pour se détendre, allez donc voir les deux selfies du moi(s) : le plus grand du monde avec ces rabbins de Brooklyn et leur perche télescopique de cinq mètres de long ou cette jeune femme qui rate le sien et se fait attaquer par un singe.
Joyeux selfies à tous !
Emilie Lemoine