Vogue France, Paris, 1978 © Helmut Newton Estate
Actuellement se déroule au Grand Palais l'exposition du grand maître de la photographie de mode, Helmut Newton (1920 -2004), évènement majeur, quand on sait qu'aucune rétrospective du photographe n'avait encore eut lieu en France, pays auquel il était pourtant très attaché et investit.
Violeta Sanchez, actrice et ancien mannequin pour Newton, Marcel Partouche Sebban, photographe et Directeur du Festival International de la Photographie de Mode, accompagnés par Jorge Alvarez, photographe et Frederic Monneyron, écrivain et sociologue de la mode , tous forts de leur expérience, ont tenté de savoir quel sens avait encore la photographie de mode aujourd'hui et quelle place prenait-elle dans le monde de l'art ?
http://actuphoto.com/22085-entretien-avec-coralie-samperez-et-pauline-blast-retoucheuses-de-photographie-mode-et-beaute.html">Actuphoto, et leurs propos donnent une image contemporaine de cet univers particulier.
Helmut Newton, tout comme Guy Bourdin, Richard Avedon ou encore Jeanloup Sieff, ont participé à révolutionner la photographie de mode. Leurs visions originales et particulières faisaient des Marie Claire, Elle, Vanity Fair ou autres magazines de mode de l'époque, de véritables œuvres d'art. Leurs travaux photographiques sortaient de la simple illustration de produit, ou de catalogue pour laisser la place au fantasme, à l'humour et surtout à l'esthétisme.
Pour l'ancien mannequin Violetta Sanchez, les années 80 ont été un grand moment pour la photographie de mode, « Les rênes étaient très libres, les photographes allaient très loin dans la création et l’extravagance. Les défilés de mode eux-même étaient très différents, pensés comme de véritables revues. Ce qui était donné à voir était vraiment de la création artistique. » Pour le sociologue Frederic Monneyron, la force de ces années tient des magazines de l'époque qui laissaient carte blanche aux photographes, « Le vêtement n'était qu'un prétexte, c'est le mannequin et le contexte photographique qui étaient les plus importants si on voulait faire de l'image une œuvre d’art à part entière. »
« Un avant et un après » : Helmut Newton et Guy Bourdin
Pour Violetta Sanchez, il y a véritablement eut un « Avant » et un « Après » Newton et Guy Bourdin. Ces maîtres incontestés de la photographie, pour qui elle a posé, étaient finalement des virtuoses de la mise en scène, dont le scénario était pensé minutieusement avant chaque shoot. « C'était comme sur un plateau de cinéma, Newton avait une image, un scénario dans la tête et il nous préparait au rôle.
C'est vraiment ce qui caractérise les photographies de Newton, on se demande toujours ce qui se passe hors cadre. Newton avait toujours un scénario, souvent inspiré du cinéma hollywoodien auquel il était très attaché. Il était d’une grande précision. Le maquillage, la coiffure tout devait être à sa place. Mais il laissait tout de même une liberté au mannequin. Il n’était pas dirigiste, il nous donnait les clés et on faisait ce qu’on voulait. »
Marcel Partouche Sebban, photographe de mode, a été assistant de Guy Bourdin et connaît bien son travail, « Dans les années 80, il y avait deux photographes dans Vogue qui se regardaient à travers les images de l’un et de l’autre, c’était Newton et Guy Bourdin, et c’est sans doute ce qui a fait qu'ils se soient autant lâchés et aient réalisé un travail aussi colossal dans la création artistique. » Les magazines de mode et les créateurs de l'époque laissaient les deux artistes réaliser leur image à leur manière sans leur imposer des critères artistiques. « Quand Guy Bourdin rendait son travail à Charles Jourdan ou à Vogue, il envoyait une seule image, c’était celle-la ou rien», souligne Marcel Partouche Sebban, déçu qu'aujourd'hui cette confiance entre magazine et photographe se perde, avant d'ajouter, « La commande peut vite devenir un frein à la création artistique si le photographe ne peut se détacher du produit. De nombreux photographes à qui on confie la commande en leur soulignant l'importance de bien voir le produit, s'écartent forcément de l’art. En revanche, si l'on confie la commande à un photographe qui a un certain regard et qui reste libre, là le photographe peut vraiment s'échapper dans sa démarche créative et dans son imagination et le produit devient alors complètement anecdotique. »
Une photographie de mode propre sous toute couture
Pour Violetta Sanchez « Aujourd'hui, l'univers de la mode se veut avant tout corporate, il ne faut que rien ne dépasse, le but est de vendre. C'est beaucoup trop subversif et dangereux de confier les clés à un créateur et de le laisser faire » ironise-t-elle avant d'ajouter, « Et comme c’est corporate beaucoup de marques appartiennent aux mêmes personnes, il n'y a plus d’individualisme dans la création, ni de folie ni de prise de risque individuelle, puisque tout est totalement uniformisé ! On retrouve partout les mêmes mannequins, alors qu'avant on était dans une démarche complètement différente de donner une identité à sa marque avec une femme qui puisse l'incarner. » Du même avis, Marcel Partouche Sebban regrette que les décideurs et les directeurs des magazines ne prennent plus les mêmes risques qu'il y a trente ans, « Le problème aujourd'hui c'est que tous les magazines n'ont qu'un seul objectif, c'est le business ! Il faut rentabiliser, au dépends de la création, qui se retrouve complètement mise de côté. »
Rayon X, Van Cleefs & Arpels, Vogue France, Paris, 1994 © Helmut Newton Estate
Vogue France, Paris, 1994 © Helmut Newton Estate
Aujourd'hui, les directeurs artistiques semblent assez frileux pour laisser libre cours à l'imagination des photographes. Le sociologue Fréderic Monneyron se désole également que la création soit aussi encadrée, alors que ce doit être à l'artiste même de bousculer le regard : « Lorsque Newton photographie ses modèles en costumes Yves Saint Laurent, il joue sur la libération des moeurs. D'une façon générale, la photographie de mode a contribué à l'évolution des mentalités, elle en est même anticipatrice. » Pour Jorge Alvarez, « Le 21 ème siècle est moraliste et immoral. Moraliste parce qu'il est terriblement censureur et répresseur... tout en étant très immoral. Il faut faire évoluer les moeurs, comme Newton à l'époque mais sans tomber dans un sensationnalisme avec des photographies trash, avec des mannequins effondrées ou malades. Le problème, c'est la distance que l'on doit prendre avec les images et savoir faire la différence entre la réalité et l'imaginaire. »
Yves Saint Laurent, Vogue France, Rue Aubriot, Paris, 1975 © Helmut Newton Estate
Un autre regard
Selon le sociologue Frederic Monneyron « Il y a une certaine logique dans la photographie de mode à rendre une fille sexy. Le problème c’est que le contexte social et sociétal d'aujourd'hui a changé et que les images ne sont plus regardées de la même façon. »
Les images aujourd'hui n'ont plus le même objectif, comme l'explique Violetta Sanchez « Helmut newton était très inspiré par l’univers cinématographique et par les stars hollywoodiennes, qu'il cherchait à transgresser. Il partait d’une image de star et à partir de là il transgressait pour aller vers un univers plus érotique que ne l’autorisait la censure américaine. Aujourd’hui la transgression se fait déjà à partir de la pornographie, on ne suggère plus, on n'est plus dans une subtilité, les images sont pornographiques et sont intégrées dans notre quotidien, dans les magazines et dans les choses à priori inoffensives. »
Bien que la mode et la photographie de mode aient des rôles sociaux, lorsqu’elles déterminent nos comportements individuels et collectifs, pour Frederic Monneyron, la photographie de mode souffre d'une reconnaissance, elle a aujourd'hui des difficultés pour être considérée comme un art à part entière. Violetta Sanchez s'étonne également que la France, qui est pourtant le pays de la mode par excellence, ne considère le domaine de la mode qu'avec un léger mépris « C'est incroyable de voir que Newton souhaitait faire la donation de ses fonds photographiques à la France et qu'il a finalement cédé son fonds à l’Allemagne étant donné que personne n’a réagi en France !»
Il semble bien que la France, pourtant le berceau même de la mode, ait des difficultés à reconnaître la photographie de mode à sa juste valeur... Pourtant créer une image, susciter une émotion, maîtriser la lumière n'est pas une chose donnée à tout le monde. Aujourd'hui, tout le monde peut s'inventer photographe, parce qu'appuyer sur un déclencheur est devenu aussi facile que de se passer la main dans les cheveux ! Et le problème c'est que tout le monde se met à faire la même image, de peur de déranger les commanditaires. Adieu la personnalisation et la part créative des photographes, l'ère du produit et du corporate a détruit l'essence même qui fait de la photographie de mode, un Art : la création !
Julie Garnier
Photos et vignette © Helmut Newton Estate