Jérôme de Missolz, réalisateur indépendant, dépeint la vie de David Bailey. Photographe, cinéaste, peintre et sculpteur, il est une figure marquante de l'art contemporain du XXème siècle. Connu principalement pour ses photos de mode et ses portraits de stars du « Swinging London » des années 1960 et 1970 (Les Beatles, les Rolling Stones), ce photographe hors pair bouscule les tabous. Connu pour son mariage avec Catherine Deneuve en 1965, il a également inspiré Antonioni pour le film Blow Up.
Dans ce documentaire, le spectateur est plongée dans la vie de Bailey. On y découvre ses amis, ses égéries et ses muses (Jean Shrimpton, Brigitte Bardot, Catherine Deneuve ou encore Pénélope Three), son studio, ses méthodes de travaille et son caractère. Chaleureux, bout en train, jovial, professionnel et perfectionniste, il est toujours à l'affut de nouvelles expériences. Jamais satisfait, l'ennui est son pire ennemi. Son meilleur ami : son appareil photo. Il prend des clichés instantanés à tout bout de champ, de sa famille, ses enfants, sa femme, ses amis, ses modèles, son chien. Grand sentimental, romanesque, plein d'humour et très touchant, David Bailey travaille sans aucune prétention, avec beaucoup de simplicité et de décontraction.
Issu du prolétariat, il a vécu dans le East End de Londres. A 20 ans, il devient Le photographe de Vogue grâce à John French, photographe de mode. « J'étais son assistant. Ce n'était pas un grand photographe, mais un homme gentil. Il m'a appris l'usage du fond blanc, i s 'en servait beaucoup. Je trouvais ça malin. Il m'a aidé à trouver du travail, il m'a dégotté un poste de photographe pour le Daily Express. Chez Vogue, ils ont vu mes photos et m'ont fait signer un contrat. Et voilà le travail. Je n'ai été son assistant que pendant onze mois ».
Bailey comprend parfaitement le langage codé de la mode : il se démarque de ses concurrents cen proposant des clichés graphiquement plus dynamiques et originaux. Ainsi propulsé dans le monde des podiums, il introduit également le milieu du Rockn'roll, où il fréquenteles stars de l'époque. Il sera également le photographe attitré de Mick Jagger dans les années 1970, et d'Elton John aujourd'hui. La carrière de Bailey est une vraie « success story ». Son ami Martin Harrison, critique d'art, le définit comme « le plus grand photographe anglais. C'est un médium visuel. Il regarde et ne dit rien. Les mots sont dans l'appareil, dans l'image. Il est doté de cette capacité à être limpide par le biais d'images visuelles. Il a compris comment condenser, simplifier, faire passer son message en un rien de temps ».
Passionné d'art, David Bailey travaille sur tous les supports et transforme tout se qu'il touche en or. A la fois photographe, peintre et sculpteur de talent, il est aussi connu pour ses court-métrages et ses films. On lui doit l'un des meilleurs documentaires sur Andy Warhol où il pousse au plus loin son approche loufoque et intimiste du documentaire, mais aussi un film étonnant sur Luchino Visconti, et un film hilarant sur le très chic et très académique Cecil Beaton, père de la photographie de mode.
Le style de Bailey est unique, il l'avoue lui-même. « J'aime mes images car on ne peut pas les copier. Je ne fais rien de spécial, je me contente de parler aux gens ». Dans la lignée classique de Nadar et Avedon, Bailey se sent proche de ces photographes. « Je regarde leurs photos, et ce sont les miennes que je vois. Ils savaient ce que je sais, ou le contraire ». Il aime l'épure et les photos sur fond blanc. Mais son talent réside dans la mise en scène et dans son regard, Bailey est un microscope, il perçoit des détails pourtant inaperçus. Et se sont ces détails qui lui permettent de raconter une histoire. « La photographie elle-même ne m'intéresse pas. C'est ce qu'on fait avec qui m'intéresse. Quand on me dit : « Tu devrais aller voir ce film, l'image est superbe », je n'y vais pas. Je me moque de l'image d'un film, c'est l'histoire qui compte, ce qu'elle m'apprend. Une belle photo ne m'apprend rien. Avec mes images, je veux raconter une histoire, de façon immédiate, sans étalages, sans paliers. Je n'aime pas les palmiers ».
A la fois élégantes, gracieuses et provocantes, ses photos ont alimenté sa réputation sulfureuse. Mais sa provocation et son audace l'ont démarqué des autres photographes. Ses clichés d'Alice Cooper avec un Boa ou de Penelope Three en déshabillé brandissant une mitraillette étaient osés pour l'époque. Chez Bailey, la provocation est un atout sensuel et chaleureux, une manière de voir le monde avec humour, dérision et un profond humanisme.
L'oeuvre de David Bailey est vaste, on connait moins ses reportages. Grand voyageur, il parcourt le monde comme un explorateur soucieux des réalités souvent tragiques qui affectent les êtres humains. Toujours dans un but humanitaire et caritatif, Bailey refuse de se faire payer pour ses missions à l'étranger. « C'est curieux de se faire payer pour photographier des affamés ».
Parti en Inde, En Irak, En Nouvelle-Guinée où il a photographié Les Papous, le Brésil, le Vietnam et Cuba, ses sujets font toujours échos à ses origines. Il raconte des histoires d'outsiders. Au Brésil, il se consacre aux prostituées, au Vietnam, les « Boat People » l'interpellent et en Irak il se concentre sur les soldats anglais.
Loin du monde de la mode et des studios, Bailey utilise une approche différente quand il est à l'étranger. « Quand je pars prendre des photos, je m'y met dès mon arrivée. Au bout d'une semaine on s'habitue aux choses. Je commence dès la sortie de l'avion. Les photos les plus intéressantes sont souvent les premières. On n'est pas encore familiarisé avec cet environnement, il est encore nouveau, sauvage. On trouve souvent l'inspiration dans ce qui nous est étrange. Il est parfois bon de quitter son propre environnement ». Bailey, comme dans ses photographies de mode, « montre les choses simplement, il y a une sorte de dichotomie, ou en tout cas une forme de va-et-vient constant entre une approche journalistique et une vision classique mais toujours graphiquement simple et épuré » , souligne son ami Martin Harrison.
Le style documentaire se fixe pour but théorique de produire la représentation d'une réalité sans intervenir sur son déroulement. C'est le meilleur moyen pour comprendre et ressentir la vie de quelqu'un. Le documentaire plonge ainsi le spectateur dans l'intime d'un personnage connu ce qui familiarise son image. Ici, le travail de Bailey est mis en avant mais son caractère, son mode de vie, ses pensées, et ses goûts sont montrés au grand jour : le spectateur peut alors s'identifier à un personnage auparavant impalpable. Bailey est humanisé. Dorénavant, on continue d'admirer l'oeuvre du photographe mais on apprécie, déteste ou envie son mode vie.
Four beats to the bar and no cheating (« Une mesure à quatre temps, sans triche ») dresse le portrait d'un personnage attachant, honnête, drôle, les pieds fermement ancrés sur terre et surtout extraordinairement créatif. Un documentaire signé Jérôme de Missolz, qu'il ne faut pas rater. Actuellement en DVD, les passionnés de photographie et les fans de David Bailey ne seront pas déçus.
Alexandra Lambrechts, 3 novembre 2011.
David Bailey Four beats to the bar and no cheating – Un film de Jérôme de Missolz – Arte éditions.
En DVD le 19 Octobre 2011 - Diffusion sur ARTE le 29 novembre 22h20.
Prix public estimé : 20€.