Julia Margaret Cameron (1815-1879), photographe anglaise de renom.
De l'Angleterre victorienne aux climats exotiques de Ceylan, les photographies de Cameron illustrent toute une époque. Les portraits et scènes de déguisement qu'elle affectionne sont, outre l'expression d'une vision particulière, une plongée dans le monde anglo-saxon de la deuxième moitié du XIXe siècle.
Le travail de Julia Margaret Cameron est empreint d'une esthétique typiquement victorienne ; ses portraits de femmes rappellent ceux des Pré-Raphaélites, Rossetti, Burne-Jones et autres Watts, surtout les illustrations qu'elle réalise en 1874 pour le "Idylls of the King" de Tennyson.
Les poèmes et pièces de théâtres qu'elle choisit d'illustrer, scènes de genre à déguisement, sont empreints de cet imaginaire du XIXe siècle, plein de rêves chevaleresques et de beautés féminines : "King Arthur" (1874), "Paul and Virginia" (1864) ou encore "Sir Lancelot and Queen Guinevere" (1874).
Cameron affectionne la beauté, l'esthétique, et donc aussi la beauté féminine, qu'elle célèbre à travers une série de superbes portraits, comme "Sadness" (1864) et "The Wild Flower" (1867), où la grâce féminine est mise au service d'un thème, d'un sentiment, d'une idée. "J'aspire à capter toute la beauté qui apparaît devant moi" affirme-t-elle.
La beauté peut aussi être masculine, avec "Iago, Study for an Italian" (1867), portrait d'un modèle italien à la mode, Angelo Colarossi, seul modèle professionnel qu'elle n'ait jamais utilisé.
Ses portrais sont originaux, car elle emploie des cadrages très rapprochés, en très gros plan, jouant de l'éclairage pour estomper les détails et obtenir des effets de clair obscur, donnant à ses images une dimension profondément mélancolique.
Dans ses nombreuses photographies religieuses, notamment "A Holy Family" (1872) et surtout le magnifique "Rachel Gurney, I Wait" (1972), cette atmosphère si particulière transparaît parfaitement. Un petit ange y repose sa tête sur ses bras, avec ses ailes qui lui entourent délicatement les épaules. Le fond est complètement flou, on croit discerner des plumes, même les ailes et les cheveux de ce petit ange ne sont pas nets. Et pourtant, tout est dans le regard de cet enfant, captivant et paradoxalement exprimant une grande force.
C'est tout cela Julia Margaret Cameron, une association de délicatesse et de beauté, voire de fragilité, mais aussi une part d'intensité psychologique.
En photographiant des personnalités de son temps, comme les fameux scientifiques "Charles Darwin" (1868) et "Sir John Herschel" (1867), Cameron s'approche au plus près de la psychologie des personnages. Par des plans rapprochés, la suppression des détails et un éclairage particulier, elle réussit à créer une intimité dans ses portraits. En résulte une sorte de tête à tête entre les personnages photographiés et le spectateur, qui dégage une forte intensité psychologique.
Les portraits que la photographe réalise de son entourage n'échappent pas à la règle, viennent au contraire renforcer le regard bienveillant de Cameron sur ses sujets. Les premières images de Cameron sont consacrées à son entourage, à ses enfants et petits enfants surtout qu'elle adore. "Alice du Lane, 3 Years" (1864), mignonne petite fille aux grosses joues et aux longs cheveux annoncent d'emblée la couleur.
C'est en quelque sorte grâce à sa fille Julia Hay, qui lui offre un appareil photographique en 1863, que Cameron se met à la photographie, à 48 ans. Dès le début ("Annie, my first success", 1864), sa force sera de croire que le médium photographique peut être utilisé avec plus d'originalité, d'imagination et d'esthétique qu'il ne l'avait été jusqu'alors. Cameron contribua à établir la photographie en tant qu'art à part entière.
Mais en tant que femme amateur, elle a du mal à se faire respecter en tant que professionnel par les sociétés de photographes et d'artistes de l'époque, largement masculines. Elle est tout de même élue membre de la Photographic Society de Londres, mais la presse fustige le côté "non-fini" et "enfantin" de ses images. Toutefois, et c'est ce qui compte pour elle, une partie de la communauté artistique, notamment les Pré-Raphaélites, la soutient, plus qu'aucun autre photographe de son époque.
En 1875, Julia Margaret Cameron s'installe à Ceylan (Sri Lanka) où son mari possède des plantations de café ("Charles Hay Cameron",1864). Elle continue à photographier son entourage, quoi que de manière moins soutenue. C'est presque un travail documentaire et ethnologique qu'elle réalise alors, fasciné sans doute par cet exotisme délicat qui l'entoure.
"Woman" (1875-1879), femme indienne aux longs cheveux noirs en costume traditionnel ou encore "A Group of Kalutara Peasants" (1878) font partie des dernières images réalisées par la photographe anglaise. Dans cette image, l'attention portée au choix de l'éclairage et du cadre, font évoluer les trois personnages indiens dans un monde indéfinissable. Les deux hommes étant partiellement flou, l'attention se focalise ainsi sur la femme au centre de l'image. La beauté et la délicatesse féminine, encore et toujours.
Un certain nombre d'albums et de lettres personnelles, viennent compléter cette fascinante exposition, qui nous fait plonger dans la vie et le travail d'une artiste pionnière de la photographie. "Julia Margaret Cameron" (1868), photographie dont on ignore l'auteur, où l'on voit la photographe dans une pose conventionnelle, debout près d'un rideau, fait prendre toute la mesure de son travail, résolument "en avance sur son temps".