Jen Davis

Jen Davis

#Photographe
Myrtle Beach, Caroline du Sud, 2002. En plein springbreak. Une jeune femme, en surpoids, assise sur la plage. A ses côtés, une amie, allongée sur sa serviette, en bikini. Derrière, un jeune homme et une jeune femme pareillement déshabillés. La jeune femme en surpoids, elle, a gardé ses vête- ments, ne laissant entrevoir que la peau blanche de ses bras et ses jambes. On la devine terriblement gênée, fuyant du regard l’objectif de l’ap- pareil photo. Et pourtant c’est elle, Jen Davis, l’auteur de ce cliché. Pressure Point -tel en est le titre-, point de pression et point de départ d’une série d’autoportraits, projet au long cours étalé sur les onze années qui ont suivi jusqu’à aujourd’hui, dans lequel l’artiste interroge avec un sens troublant de l’honnêteté, la corrélation entre la perception de soi et la façon dont les autres nous perçoivent. Celle qui n’était alors qu’une étudiante en photographie au Columbia College de Chicago parlait déjà d’elle-même à travers d’autres quand elle mettait en scène, dans des appartements ou des diners, des êtres solitaires, pour la plupart son exact opposé physique. Elle nommait ces narrations ambiguës des « autoportraits sans moi dedans », car c’était bien d’elle, de ses pensées, de ses opinions et de sa vision du monde dont il était déjà question. Pourtant, en ce jour de printemps 2002, c’est vers elle-même que Jen Davis a décidé de retourner l’objectif. Comme un besoin, une nécessité. Celle de mieux se comprendre elle-même, d’apprivoiser ce corps qui la rend si mal à l’aise, de prendre à bras-le-corps ce manque de confiance en soi qui la ronge, d’appréhender l’image que la société lui renvoie. On pourrait croire la démarche simplement documentaire – le récit en images de la vie d’une obèse. Loin de là. Embrassant tout à la fois la tradition de l’autoportrait et le questionnement artistique sur les canons de la beauté, l’œuvre de Jen Davis se base sur des expériences personnelles que l’artiste reconstruit à travers la photographie ou qu’elle invente de toutes pièces, pour parler d’intimité et de désir. A la fois photographe et sujet de ses photographies, Jen Davis voit alors dans l’appareil photo un alter ego, à qui elle jette parfois un regard interrogateur, comme pour mieux se confronter à son propre regard. Pour celle qui cherche à faire par la photographie ce qu’elle ne peut faire par les mots, ce projet en solitaire prend les allures d’une thérapie artistique, et ses photographies sont alors les preuves de l’épreuve que ce projet a pu pour la jeune femme approchant la trentaine qu’elle était alors. Mais de cliché en cliché, et année après année, c’est aussi une évolution photographique à laquelle on assiste : l’attitude de Jen Davis change, une confiance en soi émerge, l’artiste prend des risques, se dévoile de plus en plus, au propre comme au figuré. Pourtant, son corps, lui, ne change pas. Face à ce constat, la photographe décide de se faire poser un anneau gastrique, par peur de se réveiller à 40 ans toujours coincée dans le même corps. Immédiatement la jeune femme se métamorphose, et son travail s’en ressent : ses photographies deviennent plus lumineuses, moins tristes. Mais aussi moins nombreuses. Car cette nouvelle vie, il s’agit aujourd’hui pour elle de la vivre et non plus seulement de la fixer sur pellicule.