Né en 1935 en Allemagne, Dieter Appelt vit et travaille à Berlin. Son étude de la musique à l'Académie de Leipzig comme sa carrière de baryton solo ont été tout autant formateurs dans son parcours artistique que ses études à l'Ecole des Beaux-arts de Berlin. A la fin des années 70, il décide de se consacrer essentiellement à l'image. Au début de son activité Dieter Appelt se consacre à des « actions » dans lesquelles il se met en scène. La photographie et le film ont rapidement pris une place de plus en plus importante et un statut à part entière.
... Nommé professeur à l'université des Arts de Berlin en 1982, il n'a jamais interrompu sa carrière artistique. L'Art Institute de Chicago, le Stedelijk Museum d'Amsterdam, le Guggenheim de New York, le Centre National de la Photographie à Paris, le SMACK de Gand ou plus récemment le Centre Canadien d'Architecture à Montréal lui ont consacré d'importantes expositions personnelles.
Dieter Appelt est marqué par la Seconde Guerre mondiale, la destruction, mais aussi la renaissance. Inspiré par la lecture d'une phrase de Raymond Roussel dans Nouvelles Impressions d'Afrique (« La tache attristant la glace où l'haleine a pris »), son autoportrait le plus célèbre dissimule une oeuvre noire, charbonneuse, cendreuse. Depuis une quarantaine d'années, cet ancien chanteur d'opéra, dessinateur, cinéaste et sculpteur malaxe une matière oppressante que son génie rend fascinante par la puissance évocatrice qui s'en dégage. Les photographies de son corps qui éclot d'une gangue de terre fine comme une coquille, ou emmailloté dans des bandelettes de momie, évoquent l'horreur des camps, mais également la persistance des cycles de la vie et de la mort. Réalisées par superposition de négatifs ou avec des temps de pose très longs, ses images révèlent, par les infimes strates de lumière qui se sont impressionnées sur la pellicule, « la présence des choses dans le temps » - titre de l'une de ses oeuvres. Cette présence qu'il donne à voir nous plonge aux origines primitives de l'homme que l'on pense avoir oubliées mais qui persistent en nous. A moins qu'il ne s'agisse d'un sombre présage du chaos.
Pour Dieter Appelt, la photographie est une pratique plasticienne, travaillée et préparée, ouvertement formelle, à l’encontre d’un modèle convenu du «clic-clac» spontané. Temps de pause plus que temps de pose. Rien d’automatique ni de magique, mais les conditions données à une représentation de s’imprimer, pour révéler une ontologie de l’objet ou de la scène plus que rendre compte d’un instant fugace. Une sorte d’empirisme pictural : montrer le temps à l’œuvre plus que le figer.
Mais Appelt, s’il utilise l’image, n’est pas photographe. Il serait bien plutôt sculpteur (représentation de volumes dans l’espace et utilisation de matériaux bruts pour modeler, cristalliser, méduser), performeur (utilisant son corps comme support pictural à la manière des artistes buto ou d’un Schwarzkogler), cinéaste (un montage sériel des images démarrant une narration), voire musicien (rejouant ses motifs sous forme de partitions, en tonalité résolument mineure).
De fait, pour cet artiste, né en Allemagne de l’Est en 1935, la question essentielle, au-delà du médium, concerne certainement les limites et les possibilités de la représentation, les manières de travailler l’ineffable de la douleur universelle et de la mort. Deux réponses : d’abord représentation de son propre corps, mais corrompu, comme rédemption ou invocation chamanique des âmes disparues. Un narcissisme «critique», au bord de la destruction. Ensuite l’utilisation de procédés artisanaux de prises de vues et de développement dans un objectif de déréalisation de l’image. Non plus enregistrement mais contretype imparfait du réel, de type onirique, qui reprend le grésillement visuel et le trouble des images mentales