Né en 1935, autodidacte, il est initié à la photographie par son père, lui-même photographe. Après des études de musique, il intègre le mouvement des Actionnistes Viennois (2) dans les années 70 et devient ainsi plasticien-photographe dès 1979. Photographe, musicien, dessinateur, vidéaste et sculpteur, il met en place des performances depuis 1976. Il réalise ses autoportraits comme des dépôts successifs de messages par superposition de prises de vues. Soumettant son corps à des expériences parfois douloureuses, il se fond dans la matière et subit une étrange métamorphose : enveloppé d'argile, momifié, enseveli, "il projette violemment ses images mentales sur le monde". (3) Il s'est par exemple suspendu par les pieds devant l'objectif pendant un long moment, jusqu'à la limite du supportable. L'image de la destruction qu'il met en scène s'oppose à celle de la construction de ses images, méthodique, structurée et longuement réfléchie. La rapidité du déclenchement de l'obturateur est réfutée par ses temps de pose très longs et ses mises en scène préparées longuement à l'avance. "Pour lui, la photo possède autant de poids qu'elle a exigé de temps." Günther Gercken décrit bien le travail de Dieter Appelt : "La contrée rocheuse inanimée engendre l'homme. La pierre se mue en chair. De l'état de larve, l'homme passe au stade de chrysalide, puis d'imago. Libéré de la pesanteur, il s'envole…vers son propre espace mental."
D'images symboliques en messages subliminaux, sa photographie est élaborée comme une méthode scientifique, à l'exception près que son corps est son seul langage. Il travaille en séries, à l'instar de la chronophotographie (4), en prenant le temps de choisir avec soin les lieux de constitution de ses images. Il s'extrait de l'aspect contemplatif de la photographie pour agir sur les esprits et exposer son corps à des sévices, autant que l'esprit du lecteur à des questionnements sans fin. Son corps-instrument, est le lieu d'inscription des violences morales du quotidien. "Homme de la nuit des temps", "être où il y a du dragon et de la chauve-souris" selon l'écrivain Michel Tournier, Dieter Appelt opère une "recréation imaginaire du monde". Son processus exige, d'une part, un engagement physique, et, d'autre part, une réflexion sur l'homme dans son milieu naturel. On pourrait dire qu'il entretient un rapport hors-normes à la matière, à la vie.
(1) A corps perdus est le nom de l'exposition réalisée dans l'Eglise Saint Martin du Méjan pendant les rencontres d'Arles de 1995 et a fait l'objet d'un livre publié la même année aux éditions Actes Sud.
(2) Groupe d'artistes actif entre 1962 et 1968 - Ce mouvement se situe dans le contexte du développement des Happenings en Europe. Adoptant une attitude provocatrice, ils réalisent des mises en scène violentes, où le sacrifice devient un rituel qui leur permet d'accéder à une forme de libération.
(3) Michel Tournier
(4) Méthode de prises de vues successives et superposition des sujets en mouvement, élaborée dans les années 1880 par Etienne-Jules Marey à des fins scientifiques. Cette technique est à l'origine du cinématographe.