© NnoMan
Le Front Populaire donne un visage à la foule
« Ils ont 20 ans, 30 ans, souvent le cœur à gauche, très à gauche, l'appareil photo en bandoulière. Marcel Bovis, Henri Cartier-Bresson, François Kollar, André Kertész, René Jacques... photographient le Paris des années trente pour illustrer journaux et magazines. Ils sillonnent les quartiers populaires, honorent des commandes, s'intéressent aux ouvriers, aux mouvements sociaux ». Ces mots de Françoise Desnoyelles, commissaire scientifique de l'exposition http://fr.actuphoto.com/35325-du-front-populaire-aux-conges-payes-revivons-ces-moments-historiques-en-photo.h", en ce moment à l'Hôtel de ville, nous donnent envie de découvrir ces jeunes photographes qui se sont affirmés à l'époque dans le reportage engagé.
C'est précisément dans les années 30 que les pratiques photographiques ont beaucoup évolué, rappelle http://fr.actuphoto.com/35325-du-front-populaire-aux-conges-payes-revivons-ces-moments-historiques-en-photo.h", historienne française spécialisée dans les mouvements sociaux en France au XXe siècle. L'apparition du petit format a révolutionné la photographie de manifestation. Cette mutation technique a permis aux photographes de ne plus rester perchés sur les toits mais de marcher au côté des manifestants. On voit également apparaître le gros plan. Plus de regard de surplomb, de foule inhumaine, les photographes prennent enfin des portraits de militants. La manifestation peut enfin avoir un visage.
Robert CAPA (Andrei Friedmann) (1913 - 1954)
© Musée de l'histoire vivante de Montreui
La photographie de manifestation devient alors métonymique. Robert Capa, David Seymour ou Willy Ronis préfèrent photographier « l'individu, d'origine populaire, à la foule indistincte » et construisent « une nouvelle image du peuple », rappelle la spécialiste. Certains photographes se focalisent sur les femmes, d'autres sur les enfants. Cette mixité inédite permet également de distinguer « les manifestations du Front populaire de celles de ses adversaires, où la séparation des sexes est rigoureuse ».
1934, Montrouge, Front populaire.
André KERTESZ (1894 - 1985)
© Jeu de Paume / Photo André Kertész
Cette jeune génération de photographes a participé directement à la construction du mythe et de l'imaginaire collectif. Des motifs récurrents structurent ces images de manifestation : la Révolution française ou le poing levé en référence aux antifascistes allemands. Ces photographies qui ont fait l'Histoire sont le plus souvent des constructions. Danielle Tartakowsky explique que les manifestants ne levaient le poing que devant l'objectif. Ces clichés de manifestation ne sont pas pour autant « faux ». Ils prouvent, au contraire, que les partisans du Front Populaire avaient déjà conscience de la force de l'image.
MAI 68 : Marianne est dans la manif
Quand on pense à Mai 68, on visualise immédiatement « La jeune fille au drapeau » de Jean-Pierre Rey. On ne le dira jamais assez : la photographie joue un rôle dans l'élaboration de la mémoire collective.
« La jeune fille au drapeau » © Jean-Pierre Rey
Comment Caroline de Bendern, juchée sur les épaules de son petit ami lors de la manifestation du 13 mai 1968, est-elle devenue la « Marianne de 68 » ? Peut-être parce que cette photographie fait écho à une autre image emblématique : « La liberté guidant le peuple » d'Eugène Delacroix, symbole de la Révolution de 1830 (en moins dénudée). Peut-être aussi à cause de son hyper médiatisation. C'est dans le magazine Life qu'elle paraît pour la première fois (le 24 mai 1968). Durant les événements, elle sera ensuite publiée à de multiples reprises dans la presse internationale et nationale. Quarante, cinquante ans plus tard, elle est toujours là. Elle a fait notamment la couverture de Paris Match en 1988 pour son numéro spécial « Mai 68 » ou celle de Marianne en 2008. Impossible ici de citer toutes les publication de « La jeune fille au drapeau ».
La « Marianne de 68 » n'est plus seulement l'emblème de la libération populaire, elle est devenue « une icône pour tous » pour reprendre l'expression d'Audrey Leblanc, docteure en histoire et civilisations. Elle explique que « selon l’usage qui en est fait, en particulier en jouant sur le cadrage au niveau du drapeau brandi (élément historique le plus fort de la photographie), chacun peut projeter son discours en elle : chacun peut ainsi se l’approprier ». On ne peut s'empêcher de penser à la réappropriation de la figure de Jeanne-d'Arc par le Front National.
Toutes les photographies de manifestation ne sont pas symboliques, beaucoup sont uniquement informatives. Au début des événements, de nombreuses photos d'illustration de la presse régionale montraient des étudiants en contre-plongée et les policiers les attaquant. Danielle Tartakowsky remarque que dès que l'opinion public a changé, les photographies se sont, elles aussi, inversées : les policiers étaient désormais en contre-plongée et les manifestants les attaquaient. Si même les clichés informatifs ne sont pas innocents, la photographie peut-elle prétendre à une objectivité documentaire ? Il semble que non.
Manifestation contre la loi travail : Marianne est-elle une casseuse ?
Depuis les années Front Populaire ou Mai 68, notre rapport à l'image a changé. La photographie est partout : selfies, publicités dans le métro, réseaux sociaux. Elle circule très vite grâce à internet et n'importe qui peut la relayer. Si cela permet de vivre l'actualité en direct, cette libre circulation de l'image a également donné naissance à une nouvelle génération de photographes indépendants qui n'ont plus nécessairement besoin de la presse traditionnelle pour diffuser leurs clichés.
La photographie a de la force et de fait dérange. Ce ne sont ni NnoMan (photographe ayant reçu un arrêté préfectoral : voir son récit en fin d'article) ni les photographes indépendants blessés qui vont nous dire le contraire. « La presse est parfois délibérément prise pour cible. J’ai été blessé au genou gauche le 1er Mai par une grenade de désencerclement. Ce même jour place de la Nation, j’ai reçu un tir tendu de grenade lacrymogène (interdit ) dans l’autre genou, alors même que je m’abritais derrière un abri bus avec des collègues pour faire des clichés », raconte Thomas Helard, jeune photographe indépendant.
Cette violence oblige les photographes à se serrer les coudes. Ce Lillois récemment installé à Paris nous livre sa philosophie de travail : « Faire des images oui, mais surtout éviter de se retrouver dans des situations trop dangereuse et pouvoir se porter secours mutuellement en cas de blessures ».
Blessure 1er Mai 2016
© Thomas Helard
De nombreux photojournalistes indépendants subissent directement cette répression policière. NnoMan affirme que « contrairement à un journaliste d'Itélé, il n'y a pas de contrôle sur ce qu'il diffuse. Personne ne peut lui dire que cette photo n'est pas à montrer car elle est à charge contre la police ». Ces images dérangeantes et violentes pousseraient les forces de l'ordre à braquer des lampes torches sur les caméras et les appareils photo et à rudoyer les photojournalistes indépendants.
NnoMan, Thomas Helard et bien d'autres couvrant les manifestations contre la Loi Travail de Paris à Toulouse, estiment que leur travail est dangereux. Ce n'est pas une révélation. À cette brutalité s'ajoute également une violence sociale. Le photographe indépendant est souvent dans une situation précaire : statut pas toujours respecté, rémunérations instables... Certains médias vont jusqu'à voler leurs tweets pour les publier sans le moindre frais sur leur site web.
Il éloigne d'un coup de pied, une capsule de gaz lacrymogène.
1er Mai 2016 - Paris
©NnoMan
Mais à quoi ressemblent ces clichés ? Dès 2009, dans le blog « Clichés de Manifs », Raphaële Bertho et les étudiants de la Sorbonne Nouvelle proposent de définir l'esthétisme des photos des mouvements universitaires de l'époque : « Photographier une manifestation revient à saisir une mise en scène aux motifs attendus et répétés, selon une typologie pratiquement toujours identique ». Banderoles, foule, toutes les manifestations se ressemblent. Qu'est-ce qui accroche alors l'oeil des photographes en 2016 ?
Manifestation contre la Loi Travail
Paris - Avril 2016
© NnoMan
Le feu, la fumée et les fumigènes. « C'est spectaculaire et très visuel », confie NnoMan. Mais si la photographie de manifestation peut avoir une dimension esthétique et artistique, ce n'est pas sa fonction première. Tous sont d'accord pour déclarer que leur travail est avant tout là pour témoigner et rendre compte d'une réalité. Ces photographes indépendants posent un regard nouveau sur les événements : « Je ne cherche pas toujours le sensationnel, raconte NnoMan. Le 1er mai, j'ai photographié un jeune homme entièrement cagoulé, type « casseur ». Il tendait un brin de muguet à un CRS. C'est une photo très significative. Si je l'avais photographié à un autre moment, peut-être qu'il n'aurait été qu'un casseur alors que sur cette photographie, on voit avant tout un humain, c'est une réalité ». (photo ci-dessous)
Le 1er Mai c'est aussi ce jeune, à la dégaine de ce que les médias appellent "casseurs" tend une rose-muguet à la police équipée.
Paris - 1er Mai 2016
© NnoMan
La photographie de manifestation doit être efficace et percutante pour informer. Mais, pour être appréciée, elle a parfois besoin d'être expliquée et légendée. Cela est particulièrement frappant en ce qui concerne les portraits. Pour qu'un visage soit parlant, il doit raconter une histoire. Le portrait de la jeune fille avec le pansement photographié par NnoMan est légendé à juste titre. Sans cette explication, on aurait pu croire qu'elle s'était fait tirer dessus alors qu'elle était venue simplement dénoncer les tirs de flashball. (photo ci-dessous)
Elle est venue devant la manifestation des policiers avec une compresse sur son oeil pour parler des manifestant.es qui ont perdu leurs yeux à cause des flashball.
Paris - 18 Mai 2016
© NnoMan
Aujourd'hui, la photographie de manifestation n'est pas forcément bien accueillie car elle désarçonne. Mais, les articles qui témoignent d'une restriction de la liberté d'expression faite aux photojournalistes dérangent également. Est-ce au peuple de construire sa propre iconographie ou est-il nécessaire de contrôler ces photographies pour éviter un soi-disant chaos ? Une photographie ne « dit rien en soit », elle peut être facilement instrumentalisée. Elle est juste la preuve que cela a été. Une voiture brûlée peut aussi bien magnifier la lutte que servir la défense policière. « Ce genre de photo peut être repris dans les deux sens, précise NnoMan, c'est aussi cela une guerre d'images » .
Dans une rue étroite, perpendiculaire à la manifestation, un groupe s'engage pour faire une manifestation spontanée.
Les gendarmes, au fond, ont envoyé un grand nombre de gaz pour réduire la visibilité et charger le groupe.
Ne pouvant plus respirer, un homme s'écroule.
Paris - 26 Mai 2016
© NnoMan
TEMOIGNAGE : NnoMan, photographe interdit puis autorisé à couvrir une manifestation contre la loi travail, a fait le buzz le 16 mai dernier. Nous avons voulu en savoir plus sur sa mésaventure. Rencontre avec ce photographe engagé.
«Samedi 14 mai à 21h, la police passe chez ma mère. Ils lui disent qu'étant assimilé casseur, je dois me rendre au plus vite à la préfecture de police pour chercher l'arrêté préfectoral qui stipule que je ne peux pas me rendre à la manif contre la loi Travail du mardi 17 mai. Je suis étonné et en colère qu'ils soient passés chez ma mère. Je ne vis plus chez elle depuis très longtemps et déclare mes impôts depuis 2 ans. Ils pouvaient facilement trouver mon adresse surtout que je ne la cache pas.
Dimanche matin, je passe assez tôt au commissariat. Je prends connaissance de l'arrêté et contacte tout de suite mon avocat pour pouvoir monter un dossier qui prouve explicitement que je suis journaliste. Durant ma visite au commissariat, le chef de poste reçoit de nombreux appels du commissaire et de l'état major voulant s'assurer que je suis bien là, devant lui. Il est lui-même très étonné que mon cas nécessite autant d'applications de la part de l'état major.
Marche pour Clément Méric
Paris - 4 juin 2016
©NnoMan
Lundi matin, Buzzfeed parle de ma situation dans l'un de leurs articles. Ensuite, tout s'enchaîne. De nombreux médias prennent contact avec moi. A minuit, la police passe chez ma mère, arme à la main. Ils lui disent qu'ils me cherchent pour me délivrer l'annulation de l'arrêté. Ma mère leur donne mon adresse personnelle. Mais, ils repassent chez elle à 1h du matin. Ils lui demandent désormais ses coordonnées puis repartent. Elle retrouvera, le lendemain matin, la feuille de papier avec ses informations personnelles roulée en boule devant sa porte d'entrée. Pour moi, c'est de l'intimidation.
Quoi qu'il en soit, le mardi 17 mai, j'apprends que mon arrêté a été annulé. Je me rends donc à la manifestation, le jour même. Mais tout n'est pas si simple. Les CRS me reconnaissent et m'empêchent de rentrer dans le cortège si je n'enlève pas mon casque. Le casque, les lunettes de protection et le masque à gaz sont aujourd'hui l'attirail indispensable pour faire des photos en manif. Sans, les photographes ne peuvent pas couvrir l'événement. En plus, mon casque comporte l'écriteau : «Presse». Il me permet de ne pas être assimilé casseur. Un des CRS tente de me le confisquer même si je m'éloigne du périmètre. Mais ce qui est étonnant c'est que tous mes collègues ont réussi à rentrer dans la manif sans problème avec leur casque. Je comprends vite que tout cela était un moyen de m'intimider et de me dire : Toi, on te reconnaît, on t'a vu à la TV, on va t'embêter un peu.
Mercredi 18 mai, ils ont remis le couvert lors de la manifestation illégale organisée par le collectif « urgence notre police assassine » . Des policiers qui s'occupaient du maintien de l'ordre m'ont fait des réflexions déplacées : « C'est vous, la star de la TV ?» ou «J'espère que vous avez fait des belles photos parce que des voitures qui brûlent , ça doit être bien pour vous ».
Source : http://fr.actuphoto.com/35325-du-front-populaire-aux-conges-payes-revivons-ces-moments-historiques-en-photo.h"et http://fr.actuphoto.com/35325-du-front-populaire-aux-conges-payes-revivons-ces-moments-historiques-en-photo.h"