Jêrome Clément-Wilz © Corentin Fohlen
Jeunesse insouciante
Jérôme suit Corentin pour la première fois au Caire, lors des manifestations anti-Moubarak sur la place Tahrir. Il y rejoint d'autres jeunes photographes qui se réjouissent de « vivre l'histoire ». Sans vraiment analyser les événements, ils semblent contents d'assister à une révolution telle qu'ils ont pu se l'imaginer en lisant des livres d'histoire. La naïveté de leur propos est sidérante. Entre Français, les jeunes n'ont pas l'air de se rendre compte de la précarité des événements et de la suite qu'ils impliquent. Ils vivent au jour le jour l’actualité, telle que les grands médias la conçoivent, sans mener de réflexion à long terme. La violence de l’événement leur est rappelée lorsqu'ils doivent courir pour éviter les gaz ou lorsque Leilä Minano et Capucine Granier-Deferre enfilent deux pantalons l’un sur l’autre et les scotchent afin de décourager les violeurs de la place Tahrir. Pourtant les journalistes gardent le sourire, blaguent et relativisent les événements. Ils sont là pour photographier et vendre leurs photos aux médias du monde entier. A l'hôtel, ils sélectionnent puis retravaillent leurs images afin de « correspondre aux canons de la presse ». Corentin confie qu'il n'a pas de vision précise de son travail, ni d'idéal de vie, il est porté par les événements de l'histoire et choisit de les vivre à travers son appareil photo. Etre photoreporter « ce n'est pas un métier, c'est un choix de vie » explique-t-il au prix de Bayeux qui récompense chaque année des correspondants de guerre.
©Jêrome Clément-Wilz
Trip héroïque
En filmant cette génération « Freelance », Jérôme tente de comprendre ce qui motive ce « choix de vie ». Autrefois militants pour des engagements politiques forts, investis d’un devoir d'information, les photoreporters étaient des humanistes. Mais aujourd'hui, bercés par un monde d'images, leur regard est-il encore porteur d'un discours ? Corentin pense que ce qui fait la différence c’est d’aller plus loin, prendre plus de risques et rester plus longtemps. Ce sont les médias qui poussent les photographes, de plus en plus nombreux, à chercher la photo spectaculaire, celle qui ameutera le public. Plutôt que « freelance », cette génération pourrait s’appeler « génération instantanée ». Corentin photographie tout donc. Avec une vitesse incroyable, il appuie sur le déclencheur, capture un réel, sans penser au pourquoi de la photo. L'image à tout prix, au péril de sa vie, pour trouver un peu d'adrénaline. Comme si prendre un cliché revenait à se faire un fix d'héroïne. A chaque fois qu'ils partent, c'est un nouveau trip, avec son risque d'overdose.
©Jêrome Clément-Wilz
Les combattants
Face au danger et la peur, Corentin décide de rentrer en France. Rémi Ochlik décide lui de rester, il mourra quelques temps plus tard dans un bombardement à Homs, avec la journaliste américaine Marie Colvin. La mort de ce journaliste de 28 ans, met toute la profession en deuil et fait réaliser, si l'on en doutait encore, de la réalité du trip. L'étiquette « Press » sur un gilet pare-balles ne suffit pas à arrêter la mort. Leila Minona le dit enfin « Quand tu y vas, tu sais pourquoi. Pas pour l'adrénaline mais pour montrer ce que c'est la guerre ». Les jeunes journalistes, comprenant l'enjeu de ce qu'ils font, arrivent au terme de leur quête initiatique. Corentin se remet en question et se pose, enfin, la question du « pourquoi » de ses photos. Il rencontre Alain Frilet, ancien de Magnum et grand reporter, qui lui conseille de lire et de réfléchir à la finalité de son travail. « Si tu n'as pas quelque chose à dire à travers les images qui sont les tiennes, faut fermer sa gueule », dit-il à Corentin qui l'écoute comme un élève. Frilet considère que photographier c'est transmettre et participer à la compréhension du monde. Photographier c'est avoir une idée du monde, vivre pour un idéal, être combattant. Les paroles du vieux sage en tête, Corentin repart à Haïti et emmène, avec son appareil photo, un carnet de notes... C'est son premier reportage en profondeur, préparé avec Polka magazine. Il déjoue les pièges de l'actualité, refuse l’instantané. En 2014, il expose son travail Une ville dans la brèche à la Commanderie St Jean.
Le dernier des vivants
Si le parcours de Corentin, son voyage initiatique, semble si cohérent, c'est grâce au travail de Jérôme Clément-Wilz. Avec la caméra au poing, le choix de ne pas introduire de commentaire et le montage réussi, Jérôme Clément Wilz interroge réellement les enjeux du journalisme aujourd'hui. Loin de vouloir glorifier son « meilleur pote » Corentin, il révèle sa naïveté. Car le discours engagé, c'est lui qui le porte. Il filme tout mais sans chercher l'esthétique, ce que fait en permanence Corentin, même dans ses dernières photos d'Haïti où il joue avec les couleurs. La caméra bouge au rythme de ses peurs, on entend les bruits, ceux que la photo ne transmet pas : des cris, des pleurs, des fusées, des explosions… On éprouve avec lui les peurs des journalistes, des révolutionnaires, des rebelles. Jérôme est devenu une caméra, sans chercher les « canons », il a simplement filmé le quotidien. Pour ce travail d’un engagement rare, Jérôme Clément-Wilz vient de recevoir le prix du meilleur documentaire au festival de Luchon.
http://www.france4.fr/emission/un-bapteme-du-feu"
Paulina Gautier-Mons