© Sophie Calle/adagp, paris, 2014, Courtesy the artist & galerie perrotin
Sophie Calle s’y installe, le temps d’une nuit. elle nous attend cabine 7 du péage de Saint-arnoult. elle demande, à qui veut bien l’entendre : où pourriez-vous m’emmener ? est-ce loin ? Que quittez-vous ?... D'étranges voisins, surgis des écrans de surveillance, semblent vouloir lui répondre.
Julien Magre voyage toujours en famille. Caroline, sa femme, une carte à la main, Louise et Suzanne ses deux filles, à l’arrière de la voiture, embarqués pour un road movie entre rêves, apparitions et hallucinations... Qu’avons-nous vu cette nuit-là ?
Stéphane Couturier est observateur. il réinvente le paysage classique en prélevant une portion de l’espace terrestre. Fragmentés, fractionnés, recomposés, sa route et ses morceaux de champs, de ponts, de chemins et d’habitations existent bien mais comment les lire dans cette déconstruction visuelle organisée?
Alain Bublex dans sa voiture. ensemble, ils arpentent depuis bien longtemps déjà le bitume. Se dessinent alors des horizons artificiels et des aplats trompeurs. des paysages plein d’artifice pour nous emporter, nous troubler, nous bercer d’illusions. Car la réalité de Bublex ne semble pas être précisément celle que nous voyons... la vraie vie est ailleurs?
Enfin, Antoine d’Agata, parti sur les traces de ses origines. paris-Marseille-nice, la frontière italienne. un journal, 36 jours sur la route, des rencontres, des retrouvailles, familiales et intimes, une histoire en train de se ré-écrire. Notes autobiographiques, fragments de paysages, de mémoires et de vies. en reviendra-t-il ?
Pour tous, assurément, une invitation à se trouver, à se perdre... s’il y a lieu. »
Diane Dufour et Fannie Escoulen Commissaires de l’exposition.
l’exposition est accompagnée d’un ouvrage co-publié par le Bal et xavier Barral éditions.
AIRE 1 : SOPHIE CALLE
OÙ POUVEZ-VOUS M'EMMENER ? / MIGRANTS
« Les propositions de Sophie Calle sont indécentes, nous en avons l’habitude. Ou plutôt non, nous n’avons jamais l’habitude de cette indécence-là, et c’est sa force à elle. Avez-vous jamais échangé autre chose que des mots d’usage avec la receveuse installée dans sa cabine exiguë, au moment du péage ? Echange d’argent contre droit de passage d’une station à une autre, cela, oui, vous l’avez intériorisé, admis. en revanche, que soudain un droit à la conversation prenne le pas sur ce droit de passage, ça, vous ne sauriez l’accepter – en témoigne votre surprise. Comme vous avez du mal à accepter que les messages apparaissant sur les panneaux électroniques tout au long de la route, dazibaos au milieu du paysage, vous concernent directement. Vous avez l’habitude qu’ils vous indiquent l’état de la route, celui de la circulation, la fluidité et les accidents, qu’ils vous conseillent sur le chemin à prendre, mais là, visiblement, vous ne savez pas quoi faire dès lors qu’ils s’adressent à vous – soudain, c’est comme si vous étiez un être humain et non un conducteur, et ça, il y a des jours où on n’est pas préparé à le vivre. Ces messages, pourquoi n’auraient-ils pas l’audace de désirer quelque chose de vous ? »
© Sophie Calle/adagp, paris, 2014, Courtesy the artist & galerie perrotin
AIRE 2 : JULIEN MAGRE
TROUBLES
« C’est un film. on en connaît le scénario : il est tapi à l’intérieur de chacun de nous. Il ramène la route à la nuit, à des terreurs d’enfance, à des espaces qui ne montrent que la surface des choses, mais en-dessous. Il sourd tout le danger du monde. Toute surface porte en elle une dangerosité. l’autoroute, elle, l’étale. A killer on the road. Des pas dans la neige. L’absence de bruit sinon la fréquence du passage des voitures, ça, on ne s’y habitue pas. On ne sait plus. On ne sait plus très bien si l’on préférerait qu’il n’y ait personne, pas un chat, ou si l’on se surprend à craindre chaque véhicule qui vient, pour ce qu’il porte d’inconnu.
Il est seul, ce paysage sur lequel se lève l’aube. Il est aussi seul que nous, et cela, ça n’est pas admissible. C’est la première sensation que nous avons eue enfant, quand nos parents ont pris la voiture pour partir. on s’est endormi sur la plage arrière de la voiture, et on s’est mis à rêver de fuite. à l’extérieur, chaque signe nous menaçait, le monde nous courait après, ne nous laisserait pas nous en sortir vivant. Ça, non. They drive by night. Les amants de la nuit. La nuit du chasseur. Rencontres du troisième type. Canada. thieves like us. les Fugitifs. Ghost on the Highway. Il y a tout le cinéma américain, toute la littérature américaine, tout le folk américain dans les yeux semi-terrifiés de la fille de Julien Magre.»
© Julien Magre
AIRE 3 : STEPHANE COUTURIER
LANDSCAPING - AUTOROUTE A89
« Dans les interstices de Stéphane Couturier vient s’immiscer tout un monde invisible, un monde totalement libre des contraintes physiques, un monde épris de dépassement. un monde d’éclats, de flashs, d’apparitions fulgurantes, de disparitions sans regret, un monde de vitesse pure. Un autre état de la vision, plus proche sans doute du rapid eye Movement qui bat le rythme de nos rêves. Un monde tordu par la force de la vitesse et par la dissolution de ce que nous appelions la vision. Mais ça, c’était avant de prendre la route, avant de faire l’expérience de cette autre façon de plier nos vieilles habitudes de vision à une force motrice que notre corps ne sait pas encore enregistrer, mais pour laquelle on donnerait volontiers quatre roues et dix chevaux pour qu’elle nous propulse plus loin encore. Où ça ? Dans une zone où voir est devenu le synonyme d’une explosion ou d’une découverte.»
© Stéphane Couturier, Courtesy galerie polaris
AIRE 4 : ALAIN BUBLEX
L'OPTIMISME AU DEPART N'EST PLUS DE SAISON
« Les paysages d’alain Bublex sont refabriqués pour qu’on les ressente mieux, pour qu’on en ressente plus fort le côté onirique, fantastique, fictionnel : pur paysage moderne. Pure construction d’espace.
Que ces paysages d’autoroutes aient été inventés avant les jeux vidéo étonne. tout y était, en germe. le conducteur et le gamer ne font qu’un. Ce jeu, ce n’est pas (seulement) avoir le sens du romanesque, c’est ressentir le plaisir du faux. la toute-puissance du faux des paysages d’alain Bublex laisse en nous une impression étrange d’exactitude. Comme si tout ce que nous ressentions, profondément, toute la mémoire que nous avons des paysages d’autoroute, déformée par le temps et par la voiture, par la fatigue et par l’enfance, par le filtre du pare-brise et par les hallucinations, tout ce faisceau d’impressions avait trouvé dans ses fabrications sa cartographie exacte. »
© Alain Bublex/adagp, paris, 2014 Courtesy galerie gp&n Vallois, paris
AIRE 5 : ANTOINE D'AGATA
OÙ LE SEIGNEUR A PERDU SES CHAUSSURES
« Pour la première fois depuis longtemps, il n’y avait personne sur les premières photos de route que nous avait envoyées Antoine d’Agata. Il n’y a plus que le rouge carmin d’une lumière sale à force de mêler les couchers de soleil aux néons des lampadaires et aux phares des routiers. Des bords de routes devant lesquels s’ouvre le ciel jusqu’à la blessure. open up and bleed. Depuis, d’autres images sont arrivées. en noir et blanc, celles-là. peuplées d’elle et de lui – son état à elle, ses silences à lui. leur télescopage, leurs accidents. Les images couleurs, stables, immobiles, silencieuses, sont les gardiennes des photos noir et blanc, toutes explosées, toutes hurleuses, complètement blessées. Il y a dans l’opposition de ces deux séries d’images, les couleurs et les grises, tout ce que le paysage contient de puissance silencieuse et toute la rage au corps que l’humain ne sait plus, depuis longtemps, contrôler. »
© Antoine d’Agata / galerie les Filles du Calvaire / Magnum photos
Exposition réalisée avec le soutien de VINCI, mécène fondateur