© Tim Brennan, Sans titre (Fortress Europe), 1972, Commande Mission Photographique Transmanche n°11, 1992. Coll. CRP
Centre Régional de la Photographie Nord Pas-de-Calais Place des Nations 59282 Douchy-les-Mines France
« Je pense qu’il y a aujourd’hui plus d’images dans le monde que de réalité même. »
Thomas Demand
« L’artiste ou le poète d’avant-garde, écrit Clement Greenberg, essaie en fait d’imiter Dieu en créant quelque chose qui ne vaille que par soi-même, à la manière dont la nature est valide, dont un paysage – pas son image – est esthétiquement valide : c’est-à-dire quelque chose de donné, d’incréé, libre de toute signification, de toute ressemblance, de tout modèle. Le contenu doit se dissoudre si complètement dans la forme que l’œuvre, plastique ou littéraire, ne peut se réduire, ni en totalité ni en partie, à quoi que ce soit d’autre qu’elle-même »
(Clement Greenberg, « Avant-garde et kitsch » (1939) in Art et Culture, Paris, Macula, 1988 pour la traduction française, p. 12.)
Publiées en 1939 par le critique d’art new-yorkais, ces quelques lignes amorcent et circonscrivent une esthétique que l’on qualifiera à terme de moderniste. Coïncidant avec l’âge d’or de l’abstraction américaine des années 1950, son hégémonie sera remise en question dans la décennie suivante, soit une période qui correspond à toute une série de chamboulements se traduisant par la prolifération de copies et d’images reproductibles à travers lesquelles l’originalité de l’œuvre d’art prônée par Greenberg sera renégociée à des fins synonymes de démarches hybrides, métissées et résolument impures favorables à l’intégration et l’expansion d’un médium photographique tout particulièrement sollicité. Si les avant- gardes historiques, à commencer par le Dadaïsme, avaient déjà su faire preuve de stratégies dites appropriationnistes, il faut attendre les années 1960, le sacre du Pop Art et ses ramifications et déviations (Nouveau Réalisme, Réalisme capitaliste etc.) pour que le réemploi sous ses différentes facettes devienne monnaie courante en matière de création artistique. De tels procédés ne sont pas exclusifs aux arts plastiques – que l’on songe par exemple aux détournements situationnistes, au genre littéraire du cut-up cher à Brion Gysin et William Burroughs ou dans un registre musical à certaines compositions de Luciano Berio – mais ce sont clairement les premiers qui ont su témoigner d’un champ d’expérimentation infini dont le succès et la capacité de renouvellement n’ont jamais été démentis depuis une cinquantaine d’années. On en veut pour preuve le triomphe de la pictures generation dans les années 1970 puis plus près de nous la généralisation, voire la banalisation d’opérations reflétant une forme de « postproduction » pour reprendre un terme introduit par le critique d’art Nicolas Bourriaud. Les artistes dont les œuvres répondent à cette appellation précise ce dernier « contribuent à abolir la distinction traditionnelle entre production et consommation, création et copie, ready-made et œuvre originale. La matière qu’ils manipulent n’est plus première. Il ne s’agit plus pour eux d’élaborer une forme à partir d’un matériau brut, mais de travailler avec des objets d’ores et déjà en circulation sur le marché culturel, c’est-à-dire déjà informés par d’autres. Les notions d’originalité (être à l’origine de...), et même de création (faire à partir de rien) s’estompent ainsi lentement dans ce nouveau paysage culturel marqué par les figures jumelles du DJ et du programmateur, qui ont tous deux pour tâche de sélectionner des objets culturels et de les insérer dans des contextes définis »2.
Les travaux retenus pour cette exposition en deux volets (l’une au CRP pensée à partir de la collection photographique du FRAC Nord-Pas-de-Calais, l’autre au FRAC prenant appui sur une œuvre du CRP complétée de propositions annexes) s’articulent autour de clichés d’amateurs, de pièces à conviction historiques ou d’images conçues par d’« autres » artistes. Autant de documents préexistants remis en perspective par des créateurs qui ne ressentent pas ou plus le besoin de produire des photographies originales, préférant reproduire, réinvestir, contaminer et décontextualiser dans une optique postmoderniste des éléments ready-made retenus pour des raisons diverses et variées (travail de mémoire, interrogations touchant au statut d’auteur, à la place et au recyclage de la photographie dans nos sociétés contemporaines etc.) accentuant ainsi le large spectre de possibilités mis à la disposition d’artistes qui incorporent dans leurs pratiques des images déjà faites. La largesse de ce spectre donne surtout raison à Thomas Demand dont la phrase mise en exergue traduit une situation inflationniste où les images ont fini par se substituer à et par incarner ce que l’on nommait il y a encore quelques décennies la « réalité ».
Erik Verhagen
Les oeuvres présentées au Centre régional de la photographie Nord – Pas-de-Calais :
Christian Boltanski
Les 62 membres du Club Mickey en 1955, les photos préférées des enfants, 1972
Placée sous le signe de l’affect, l’œuvre de Christian Boltanski (né à Paris en 1944) renoue avec une approche émotionnelle que l’art minimal, encore prégnant au début de sa trajectoire, avait évacuée. Dans une sensibilité que lui-même qualifie d’« expressionniste », il réalise des installations qui prennent parfois l’allure de monuments commémoratifs, de reliquaires ou de sculptures funéraires. L’enfance, la mémoire et la mort sont au cœur de l’entreprise boltanskienne, qui procède d’un rapport dialogique entre histoire personnelle et Histoire collective. La Shoah ainsi que son héritage juif transparaissent en conséquence et en filigrane dans des travaux synonymes de ressassement de ces traumatismes. Par ailleurs, Boltanski reconstitue sa propre histoire sur le mode de la falsification en rejouant à l’âge adulte des épisodes de son enfance.
Les 62 membres du Club Mickey en 1955, les photos préférées des enfants
(1972) présente un ensemble d’images issues du purgatoire déchu aux clichés d’amateurs. La trame amplifiée résulte de l’agrandissement de ces photos tirées d’un magazine conservé par l’artiste. Ces portraits (re)photographiés nous renvoient l’image de ces enfants qui aujourd’hui ont l’âge de Boltanski : l’œuvre d’art telle qu’il la conçoit doit être un miroir dans lequel tout un chacun peut se reconnaître. L’œuvre se caractérise ainsi par une approche sociologique de la photographie, cet « art moyen » dont Pierre Bourdieu proposa l’analyse dans l’ouvrage éponyme auquel le frère de l’artiste contribua.
Hans-Peter Feldmann
L’œuvre de l’artiste allemand Hans-Peter Feldmann (né en 1941, Düsseldorf, Allemagne) s’articule principalement autour de livres et d’éditions qu’il élabore à partir d’images puisées dans des journaux, découpées dans des magazines, collectées dans des albums de famille, des archives ou des encyclopédies. Cette dynamique de récupération qui innerve son travail depuis la fin des années 60, traduit une réflexion sur le statut d’artiste, non pas « créateur » d’une œuvre originale, comme le voudrait la doxa moderniste, mais « travaillant avec » ce qui existe déjà. Il s’agit bien d’exploiter les possibilités offertes par une imagerie populaire, voire kitsch – tabou moderniste s’il en est –, et de développer une démarche ostensiblement tournée vers des photos préexistantes. Corollairement à cette fibre postmoderniste que manifeste Feldmann, son propos se teinte d’une remise en question des circuits artistiques traditionnels, l’artiste s’attachant à la production de multiples et d’objets en série afin de court-circuiter les valeurs du marché.
Dans la mesure où l’œuvre appartenant au FRAC Nord-Pas-de-Calais s’avérait indisponible pour l’exposition, l’artiste a proposé d’exposer une autre œuvre : l’édition intitulée Liebe/Love, initialement publiée en 2006 chez Walther König. Sorte de recueil de photos d’amateurs désolidarisées de toute légende où des couples anonymes posent devant l’objectif, cette série thématique d’images trouvées constitue bien un ensemble, au sens le plus homogène du terme.
Bruce Nauman
Burning Small Fires, 1968
Burning Small Fires, 1968 © Bruce Nauman
Impression sur feuille de papier 36 x 24 cm Coll. FRAC Nord – Pas-de-Calais
Bruce Nauman (né en 1941, Fort Wayne, États-Unis) peut se prévaloir d’avoir su explorer un large éventail de modes d’expression : entre autres vidéaste et performeur, mais aussi dessinateur et sculpteur, il conçoit dès 1965 des œuvres en fibre de verre, expérimente l’utilisation du latex, transforme des néons en signes linguistiques et met à l’épreuve la résistance du spectateur au travers de dispositifs tels que ses « corridors ». Bien qu’il n’appartienne stricto sensu à aucun mouvement, l’artiste entretient une certaine proximité avec les démarches conceptuelles. L’intérêt qu’il manifeste pour les jeux de langage transparaît dans ses écritures en néons qui témoignent d’une parfaite assimilation des écrits de Ludwig Wittgenstein. La pensée du philosophe viennois a alimenté celle de l’artiste au point de resurgir dans l’une de ses œuvres sous forme d’une citation directe, A Rose has no Teeth (1966). La phrase du titre (« une rose n’a pas de dents ») était inscrite sur une plaque de plomb elle-même fixée à un arbre dont l’écorce devait la recouvrir, démontrant ainsi que contrairement à ce qu’affirme l’énoncé, la nature avait assez de dents pour avaler une œuvre. On retrouve ici l’un des ressorts propres à la démarche de Nauman, à savoir générer des situations troublantes, voire déstabilisantes. Nombre de ses dispositifs soumettent le spectateur à une expérience sensorielle et perceptive dont les composantes (spatiales, visuelles et sonores) déclenchent un sentiment de malaise. Preuve en est de ses corridors, installations à l’intérieur desquelles le participant peut se déplacer – les propositions de Nauman s’articulent souvent autour de la marche, qu’il s’agisse de son propre déplacement dans son atelier ou de celui du spectateur dans les corridors. Le participant est ainsi appelé à interagir avec l’œuvre, laquelle sollicite moins un regard distancié qu’une implication corporelle et active. L’étroitesse du dispositif, les jeux de lumière, la présence d’un système de captation vidéo qui place le spectateur sous surveillance : autant de paramètres propices à insuffler dans l’œuvre une dimension anxiogène.
Burning Small fires (1968) montre l’embrasement d’un livre d’artiste conçu par Ed Ruscha, Various Small Fires and Milk (1964). Ce dernier se composait de 15 photographies d’objets ayant trait au feu (allumettes, cigarettes, chalumeau, etc.), et d’une seizième image représentant un verre de lait. Par un processus de mise en abîme, Nauman insère dans son propre livre la combustion de celui de Ruscha.
Cady Noland
Trashing Folgers, 1993-1994
Présente sur la scène new-yorkaise dès les années 1980, Cady Noland (née en 1956, Washington, D.C., fille de l’artiste Kenneth Noland) a su mettre en place un propos subversif et provocant par une stratégie de réappropriation d’objets particulièrement connotés. Menottes, potences, portails métalliques, pneus usagés, chaises roulantes, coupures de presse alimentent ainsi la production de l’artiste, dont les œuvres incorporant des ready-mades, de même que les sérigraphies sur aluminium, réagissent à toute une série d’affaires qui firent scandale dans les années 1960 et 1970. Noland place au centre de sa réflexion l’actualité médiatique d’une Amérique exsangue où psychopathes et serial killers se partagent le devant de la scène. Elle participa en 1992 à la documenta IX de Kassel où elle transposa sous forme d’installation son essai « Towards a Metalanguage of Evil » (« Pour un métalangage du mal »), avant de mettre fin à son activité artistique dans les années 2000.
Trashing Folgers (1993-1994) représente l’arrière-cour du Spahn Ranch, repaire de la secte dont Charles Manson était le gourou. Ce dernier instrumentalisait les membres de sa « Famille » – tel était le nom de sa secte – afin de les inciter à commettre des meurtres. Responsable de l’assassinat de l’actrice Sharon Tate en 1969, il fut récupéré suite à son procès par les milieux underground. Le motif du pneu suspendu – référence à la balançoire retrouvée dans le jardin de Manson – apparaît comme le vestige d’un monde de l’enfance altéré par le crime, la violence et les dérapages d’une société dont Noland met en lumière les dysfonctionnements.
Peter Piller
Bedeutungsflächen, (Pointing at Plains), 2000-2006
Peter Piller (né en 1968, Fritzlar, Allemagne) travailla de 1994 à 2005 dans une agence de communication à Hambourg, où il était chargé d’éplucher des journaux locaux dont il commença à découper puis à archiver les images à partir de 1998. Ce travail fut un embrayeur pour sa démarche artistique, et donna naissance au projet intitulé Archiv Peter Piller, un vaste réservoir d’images classifiées méthodiquement en fonction de leur provenance (journaux, magazines, internet, etc.). La série Zeitung, elle-même subdivisée en plusieurs sous-familles thématiques, se compose de photographies extraites de la presse régionale allemande. En se réappropriant ces images de seconde main, sans prétention artistique ni plus-value esthétique, Peter Piller pose une question intimement liée au post-modernisme, celle de la paternité de l’image. Autre section du projet Archiv Peter Piller : la série intitulée Von Erde Schöner, un ensemble de photographies prises entre 1979 et 1983 par une compagnie qui proposa à des particuliers d’acheter une vue aérienne de leur maison. La plupart déclinèrent l’offre pour la raison qu’évoque le titre (« c’est plus beau vu de la terre »). Ces milliers de clichés délaissés trouvent une seconde vie dans l’utilisation qu’en fait Piller. L’infini réservoir de possibilités que proposent ces photographies déjà existantes rend finalement vaine toute velléité d’en produire de nouvelles.
L’imagerie médiatique constitue la matière première de Bedeutungsflächen (2000-2006), un ensemble de dix photographies extraites de journaux régionaux. Les images ainsi décontextualisées perdent toute valeur informative. Dans une approche typologique, Peter Piller fait l’inventaire de toutes les photos présentant le motif du « doigt pointé ». Il n’est pas rare qu’il s’appuie sur des récurrences thématiques ou formelles pour organiser sa collection. Il pose ainsi un regard ironique sur ces images stéréotypées véhiculées par la presse.
Joachim Schmid
Photogenetic drafts, 1991
Afin de mesurer la place déterminante que Joachim Schmid (né en 1955, Balingen, Allemagne) accorde à la création éditoriale, il convient de rappeler qu’il débuta en tant que rédacteur et éditeur de la revue Fotokritik, publiée de 1982 à 1987. Comme en témoigne la série Bilder von der Straße (amorcée en 1982), son travail ne saurait être désolidarisé de la notion de Wiederverwendung, « réemploi » de photographies en l’occurrence trouvées dans la rue. Des images souvent abîmées, corrodées par le temps, porteuses de souvenirs personnels et intimes, et dont la surface parasitée par de multiples déchirures trahit une charge affective que l’on aurait tort de minimiser. Ne souhaitant pas dépasser le seuil des mille photographies, l’artiste mit un terme à cette série en 2012. Avec la création d’un institut de retraitement des photos anciennes, le Erste allgemeine Altfotosammlung (1990), cette stratégie de réappropriation atteint des proportions vertigineuses. Les photographies récupérées grâce à l’Institut ont notamment alimenté la série Statics (1995-2003), un assemblage de bandes horizontales préalablement broyées par une déchiqueteuse à papier. Le site Internet de l’artiste permet d’explorer le fonds iconographique qu’il s’est constitué, et ainsi de mesurer l’ampleur de ce travail de classification. La seule série Archiv (1986-1999) se compose de 726 panneaux réunissant chacun entre deux et soixante images glanées dans des marchés aux puces. Face à cette quantité astronomique d’images, seule une lecture partielle et fragmentaire s’avère envisageable. Parmi les multiples séries entreprises par l’artiste, mentionnons également Tausend Himmel (2005), projet atypique où Schmid, renouant avec un statut d’auteur, photographia le ciel à chaque fois qu’il entendait un hélicoptère survoler son appartement à Berlin. Constatons en dernier lieu que l’émergence d’Internet modifia en profondeur son protocole de travail. Compte tenu du fait que la prolifération d’images numériques engendra une raréfaction des photos tirées sur papier, il devint de plus en plus difficile de trouver des photographies abandonnées dans l’espace urbain. En conséquence de quoi Schmid entreprit de glaner ses images dans un autre type d’espace public, celui dématérialisé du Web.
Le projet Photogenetic Drafts (1991) repose sur la réappropriation de négatifs qu’un photographe de Bavière fit parvenir à l’artiste après les avoir coupés en deux. Ces clichés répondent à un protocole de prise de vue inviolable : cadrage répétitif, lumière identique, pose immuable du sujet devant l’objectif. C’est à partir de ces images pour le moins conventionnelles que Joachim Schmid opère, au sens le plus chirurgical du terme, la reconstitution d’un unique portrait. La césure entre les deux fragments introduit un décalage avec ce que l’on serait en droit d’attendre d’une photo commerciale, dont l’artiste casse les codes afin d’interroger les stéréotypes inhérents au portrait de studio.
Meredyth Sparks
Untitled, Black Sabbath, 2006
Meredyth Sparks (née en 1972, États-Unis) a développé un propos tributaire du dépassement des frontières entre art populaire et culture élitiste. Son travail repose sur le détournement d’images grand public piochées dans des magazines, trouvées sur des pochettes de disques ou glanées sur Internet. Son champ iconographique s’articule principalement autour de groupes de musique punk et de rockstars des années 1970 et 1980. Elle opère à partir de ces sources un transfert de l’image, transfert au cours duquel les photos retenues sont scannées, manipulées numériquement, réimprimées puis retravaillées de façon manuelle à l’aide de motifs géométriques redevables au suprématisme. Les amateurs de musique identifieront d’emblée les groupes dont Meredyth Sparks s’approprie l’image ; ceux de l’art abstrait reconnaîtront tout aussi aisément la référence à Kasimir Malevitch. Mais cette réminiscence de l’art abstrait, loin de resurgir sous sa forme pure, est altérée par l’ajout de surfaces brillantes, de paillettes et de feuilles d’aluminium – matériaux pour le moins connotés qui renvoient au monde du spectacle. D’insistants jeux de scintillements viennent ainsi se greffer sur des motifs géométriques soumis à des phénomènes de miroitements et de reflets. Ce processus de transformation traduit la dimension corrosive d’un propos placé sous le signe de la contamination et de l’hybridation, autrement dit : du postmodernisme.
Conformément à l’état d’esprit décomplexé de cette tendance, l’œuvre de 2006 Untitled (Black Sabbath) articule d’une part un langage formel abstrait et d’autre part la photographie du groupe de heavy metal britannique des années 1970, Black Sabbath. Deux extrêmes dont l’association est le signe patent d’une ouverture à des (contre)cultures qu’il s’agit bien d’enchevêtrer. Réfractaire aux compartimentages, Sparks neutralise toute hiérarchie et revendique son attrait pour l’Histoire de l’art comme son penchant pour une culture populaire.
Tim Brennan
Sans titre (Fortress Europe), 1972
Fortress Europe (1992) est un projet de grande envergure amorcé par Tim Brennan en 1990. Cet artiste britannique, né en 1966 à Sunderland, fait appel à de nombreux médiums (photographie, sculpture, performance, vidéo, installation) dans les travaux qu’il réalise. Sont ici présentées les photographies no 11 à 42 du projet Fortress Europe, soit 32 images réalisées à partir d’un document sélectionné par l’artiste dans les archives de l’Imperial War Museum de Londres. Après avoir photographié ledit document, Tim Brennan entreprit, à l’aide d’une grille appliquée sur le négatif obtenu, de découper ce dernier en trente-deux fragments. Cette manipulation met en danger la lisibilité de l’image, qui représentait à l’origine une colonne de soldats britanniques sur le front du Pas-de-Calais en 1916. Par ce processus de déconstruction et de décontextualisation, l’artiste met en avant la nature « abstraite » de toute image.
documentation céline duval
Projet éditorial
Iconographe de métier, Céline Duval (née en 1974) s’est au fil des années constituée une banque d’images dont le caractère vertigineux tient à sa perpétuelle expansion. L’abondance et la générosité de sa production procèdent d’une compulsion à collectionner des milliers de photographies puisées dans des magazines, trouvées aux puces, classées par thème, puis réunies sous forme de livres. Elle adopte en 1998 le nom d’artiste « documentation céline duval ». Depuis, elle glane, conserve, archive et rassemble en séries des images déjà-existantes selon un mode opératoire proche de celui de Hans-Peter Feldmann, avec qui elle réalisa plusieurs publications. Elle organise des familles thématiques d’images, les restaure, les retravaille parfois, jusqu’à ce que, consciente du trop-plein de sa collection, elle décide d’en brûler certaines – en témoigne la vidéo Les Allumeuses, où l’artiste entreprend de détruire méthodiquement des images qu’elle avait elle-même récoltées puis classifiées. La part prépondérante qu’elle accorde à la création éditoriale a donné lieu à de multiples parutions, parmi lesquelles figure le marabout douchynois (2008), un cahier d’images né de la rencontre entre documentation céline duval et une dizaine d’habitants de Douchy-les-Mines qui acceptèrent de dévoiler à l’artiste leurs photos personnelles et albums de famille.
Guerre et paix (réalisé en collaboration avec Serge Elleinstein) se compose d’un ensemble de photographies que l’artiste s’est réappropriées. Il n’est a priori rien qui puisse réconcilier les deux termes de cet énoncé, si ce n’est que les images retenues par « l’auteure » de cette série provoquent de troublants parallélismes entre les clichés mis côte à côte : d’une part, une sélection de 34 photographies prises par un soldat durant la Guerre des tranchées ; d’autre part, des photos d’amateur prises en temps de paix. documentation céline duval met en évidence les correspondances formelles entre deux séries d’images que rien ne prédisposait à être ainsi confrontées.