© Thomas Devaux
Depuis le 16 décembre, et cela jusqu'au 19 février prochain, l'aile Est de la Bibliothèque Nationale François Mitterrand accueille les heureux élus de la Bourse du Talent 2011. Sur le thème de l'identité et du genre, les jeunes photographes exposent leur vision et leur personnalité. Grâce au puit de lumière qu'offre l'institution parisienne, les œuvres brillent, voire éblouissent. Récit d'une traversée.
La Bibliothèque Nationale François Mitterrand, comme écrin de verre et de lumière. Jusqu'au 19 février prochain, l'allée Julien Cain expose les œuvres des photographes les plus prometteurs, retenues pour la Bourse du Talent 2011. Entre le jardin boisé et la bibliothèque d'étude, le corridor donne la continuité et la profondeur nécessaire pour un voyage sur plusieurs continents, de l'instantané le plus vif aux clichés les plus léchés. Quatre catégories (Portrait, Reportage, Mode et Espace) dont les travaux s'alignent, se suivent sur un seul pan de mur, autour du thème de l'identité, sans –forcément– se ressembler.
Créée en 1998 par le site photographie.com et Picto, ce concours souhaite aider financièrement de jeunes photographes talentueux avec, grâce au soutien de la BnF depuis 2007, une visibilité inestimable pour ceux qui sont distingués par le jury. Ce dernier rassemble photographes, galeristes, éditeurs, journalistes ou encore des membres éminents d'institutions de la mode ou de structures publiques. En 2009, le fabricant Nikon rejoint l'aventure et, un an plus tard, c'est Herez qui devient mécène de cette Bourse du Talent.
En cette fin d'après-midi, le jour offre encore une lumière tamisée sur ces grands formats. On peut découvrir Orthèses de Guillaume Bonnel, avec ses paysages montagneux bardés de métal ou de béton. S'y confrontent les puissances de la Nature et de l'Homme. Accolées, elles rentrent en « fusion », d'après l'auteur. Cette réalité côtoie la vision très graphique de Michel Le Belhomme. Plus noir, souvent en intérieur, il propose des pièces, en chantier, presque sales, déstructurées et inabouties. Ces « sculptures involontaires » délivre un art éphémère, avant d'être rasé. Renaud Duval, le lauréat de cette catégorie Espace fait un clin d’œil aux objets d'antan. La maîtrise du passé montrent ces canapés ou téléviseurs d'un autre temps, entassés à l'ombre de leur première vie. Un mélange du rétro de l'actuel, comme pour montrer que ces meublent font et défont l'histoire d'un lieu. Le portrait offre la même diversite : Chez Flore Chenaux, coup de cœur de la catégorie, l'humanité transpire. Dans l'intimité de son modèle, elle la montre dans sa réalité quotidienne, aussi lasse et désordonnée que son appartement. Cette chaleur tranche avec la froide et sombre vision de l'individu de Thibault Brunet. Tirées de jeux vidéos, les images numériques –mais réalistes– de Landscape démontre la fragilité de la séparation entre virtuel et réel. Les soldats surarmés ne sont-ils que des pixels ? Ce questionnement sur les frontières rejoint le travail de Mathias de Pardon, lauréat dans la section Reportage.
Avec Beyond the border, il tente de capturer un quotidien de vies, celui de ces migrants tentant par tous les moyens de franchir un mur plus ou moins visible. Il réussit à saisir le brulant désir de ces hommes, femmes et enfants de Patras (Grèce) et Calais, au péril d'une vie pour une autre, qu'ils pensent meilleure. Vif et sans complaisance, ce travail parvient à capter une quête, un combat, toujours digne dans l'attente. Tout aussi forte, l’œuvre d'Estelle Fenech reste l'illustration la plus directe et la plus militante du fil rouge de l'identité. Sur près de deux ans, elle a immortalisé les étapes d'une femme devenant un homme. Quatre diptyques, mêlant visage et reflet du ciel de ces jours si important. La transition n'est pas que "physique" dans Elle a marché vers lui, avec un processus identitaire, mais aussi social pour être reconnu pour qui l'on est vraiment. Paula ne disparaît pas en Paul. Il naît en tant que personne qui obtient enfin son reflet. C'est ce que propose, d'une manière bouleversante et presque sociologique la photographe engagée sur la question du genre.
Bourse du Talent #47 - Catégorie Portrait © Estelle Fenech
Mais ces images percutantes cohabitent avec des photos stylisées, sur les rivages de la peinture. La catégorie Mode le permet. Attrition, du lauréat Thomas Devaux, est un éloge à la femme. Elégantes, presque aériennes, cachées derrière un flou sensuel. Ces femmes ont la même classe irréelle que leur cadre. Elles sont travaillées pour être belles, pour être remarquées. La séduction, sentier de féminité. Léa Habourdin, mention spéciale du jury, fait un autre parallèle avec cette notion. Elle le rattache à la prédation, en mettant en scène l'animal au côté de l'Homme. La beauté n'appartient alors à personne, existant dans de nombreuses espèces. Le corps est alors un atout, pour parader et attraper sa "proie". Se distinguer devient alors de la survie, pour marquer sa différence. Mais accepter celle-ci lorsqu'elle n'est pas volontaire peut être délicat. Nicola Lo Calzo propose une ode à cette différence. Dans les quartiers populaires de Douala, au Cameroun, il a rencontré et photographié des personnes atteintes de nanisme. Sur les clichés, l'échelle de taille disparaît presque. Le petit devient le grand et vice versa. Dans leur décor de vie, parfois inadapté à leur situation, ils s'assument et se montrent tels qu'ils sont. Ils ne sont pas les "Morgante" (signifiant grand), surnom ironique donné aux nains à la cour des Médicis et titre de ce travail. Montrer la différence et l'inverser, pour peut être réclamer l'indifférence à leur état.
Différents mais semblables. C'est aussi de cette manière que l'on peut résumer les photographes de cette exposition. Qu'ils soient simples sélectionnés, coup de cœur du jury et lauréat, ces jeunes photographes ont tous su trouver leur identité, leur style. Pour plaire, mais surtout pour exister.
Par Mathieu Brancourt, le 10 janvier 2012