Jan DIBBETS est né en 1941 à Weert au Pays Bas, il vit et travaille aujourd'hui à Amsterdam. La majeure partie de son oeuvre s'articule autour d'un questionnement sur les mécanismes de la perception et sur la notion de point de vue.
Il est considéré comme une figure majeure de l'art néerlandais et de la scène artistique internationale et est notamment connu des parisiens pour son Hommage à ARAGO. De 1893 à 1942 une statue commémorative en bronze de François ARAGO dominait la petite place de l'île de Sein, il n'en reste aujourd'hui que le socle, la statue ayant été fondue durant l'occupation allemande pour fabriquer des armes. En 1994, à l'occasion de la commémoration du bicentenaire de sa naissance, un projet initié par l'Association ARAGO, est réalisé dans le cadre d'une commande publique par le ministère de la Culture et de la Francophonie et la Direction des affaires culturelles de la Ville de Paris.
Pour célébrer la mémoire de François ARAGO, l'artiste retenu : Jan DIBBETS, créé selon ses propres thermes, "un monument imaginaire réalisé sur le tracé d'une ligne imaginaire, le méridien de Paris".
Mais qu'entend l'artiste par "monument imaginaire"? Comment décrire une oeuvre imaginaire? Est-elle visible? L'artiste semble interroger voir jouer avec notre perception.
Jan DIBBETS a choisi de ne pas concentrer son intervention simplement sur le socle mais d'intervenir à l'échelle de la ville tout entière. Le projet se matérialise par 135 médaillons en bronze de 12,5 cm de diamètre, fixés sur le bitume et les trottoirs le long du méridien de Paris. Pourquoi l'artiste a choisi de matérialiser et ainsi rendre visible cette ligne intrinsèquement imaginaire , au sens géométrique du terme qui se dit : " d'un élément ou d'un point d'un espace complexifié qui n'appartient pas à l'espace réel initial?
La réponse se trouve dans les travaux de François ARAGO qui en 1806, alors étudiant de l'École Polytechnique, se voit chargé d'achever la prolongation de la "méridienne" de France jusqu'aux îles Baléares. Pendant longtemps, c'est le méridien de Paris qui était considéré par tous les marins, géographes et voyageurs, comme celui de référence. Ce n'est qu'en 1884 que, sous l'influence de la domination britanique sur les mers du globe, une convention internationale adopta définitivement le méridien de Greenwich.
Sur chaque médaillon est inscrit le nom d'Arago ainsi que d' un N indiquant le nord et d'un S indiquant le sud, tous étant orientés dans l'axe du méridien.
Plus qu'une oeuvre d'art plastique, Jan DIBBETS propose aux spectateurs une véritable expérience, celle de partir à la recherche des médaillons disséminés dans tout Paris. Tel un jeu de piste à l'échelle de la capitale, le promeneur est amener à déambuler, demander sa direction, se perdre, expérimentant ainsi un nouveau rapport à l'espace urbain. En cherchant les médaillons c'est la ville qu'il découvre ou redécouvre. L'artiste fait ainsi appel à l'imagination du spectateur pour appréhender l'oeuvre dans sa globalité.
Cet hommage à ARAGO constitue une réponse nouvelle délibérément non monumentale, à l'idée d'hommage. Elle rompt avec le schéma traditionnel de la statuaire commémorative et répond singulièrement à la question: "Comment faire un monument à la fin du XXe siècle?"
"Les morts sont des invisibles ce ne sont pas des absents."
Cette citation de Saint AUGUSTIN me semble faire écho à la conception de mémoire et d'hommage que Jan DIBBETS véhicule dans cette oeuvre. L' artiste n' a pas choisi de figer dans la matière le souvenir d'un grand homme du XIXème siècle mais au contraire de signifier par les médaillons une présence : celle de l'héritage spirituel d'ARAGO.
En proposant ce parcours le long du méridien de Paris ponctuer par les médaillons, l'artiste rend visible l'héritage scientifique et politique d'ARAGO. ARAGO était un homme politique, il a présidé le Comité exécutif qui exerça le pouvoir du 9 mai 1848 jusqu'à la dissolution le 24 juin: à ce titre, il fut chef de l'État durant 46 jours. L'artiste en investissant l'espace public rend hommage à l'homme au service de la cité au sens où l'entendait les grecs : "territoire d'une communauté politique", lieu où se forge et se discute le discours politique. L'espace public reprend ainsi tout son sens, lieu de sociabilité et politisé.
Ainsi en déambulant dans les rues de la ville à la recherche des médaillons, le promeneur s'aventure dans le souvenir, l'héritage de cet homme; le travail de mémoire n'est plus unilatérale mais devient dynamique, faisant appel à tous nos sens.