Hippolyte Bayard. Dans les années 1830, il invente un tirage positif sur papier. En mal de reconnaissance, il met en scène son suicide ! Et prouve ainsi que la photographie n'est pas un simple outil d'enregistrement du réel.
Hippolyte Bayard avait un don pour la mise en scène. Cet esprit original avait vite compris le parti que l'on pouvait tirer de l'image, les multiples sens que l'on peut lui donner en fonction du point de vue adopté. Ainsi, avec son cliché en contre-plongée de 1842, Les Moulins de Montmartre, on ne voit plus des bâtiments utilitaires mais des crucifiés du mont Golgotha avec leurs ailes en croix.
Né en 1801 dans l'Oise, Hippolyte Bayard est un homme plein de fantaisie qui garde de son enfance les « amusements » de son père, un juge qui plaçait des caches sur les fruits mûrissants de son verger pour dessiner des silhouettes ou des initiales. Dans les années 1830, installé à Paris, il fait beaucoup mieux en jouant avec la lumière du soleil et met au point un procédé photographique. Une invention encore méconnue et sur laquelle nombre d'inventeurs travaillent. Le célèbre scientifique François Arago, qui connaît ses travaux, préfère défendre le procédé de Louis Jacques Mandé Daguerre, en annonçant le 17 août 1839 que l'Etat français a acheté son invention (en fait, une amélioration des travaux de Nicéphore Niépce, mort six ans auparavant) contre une rente viagère.
Frustré, Hippolyte Bayard cherche à faire connaître sa propre invention, un tirage positif sur papier et non sur la peu maniable plaque de métal. Sa définition d'image est peut-être moins précise que le daguerréotype, mais elle permet un tirage positif direct sur papier. Pour se faire connaître, Bayard présente publiquement ses photographies – de superbes natures mortes et des clichés de statues antiques – et offre le profit des ventes de cette première exposition de photographies aux sinistrés d'un tremblement de terre en Martinique. La presse met l'événement à l'honneur. Mais l'Etat se refuse toujours à l'aider. Bayard pense une nouvelle fois retourner la situation en sa faveur, en se suicidant. Pour rire. En octobre 1840, il se photographie ainsi en noyé, écrivant au verso de la photo : « Le cadavre [...] que vous voyez ci-derrière est celui de M. Bayard [...]. A ma connaissance, il y a à peu près trois ans que cet ingénieux et infatigable chercheur s'occupait de perfectionner son invention. L'Académie, le Roi et tous ceux qui ont vu ses dessins [comprendre photos, NDLR], que lui trouvait imparfaits, les ont admirés [...]. Cela lui a fait beaucoup d'honneur et ne lui a pas valu un liard. Le gouvernement, qui a beaucoup trop donné à M. Daguerre, a dit ne pouvoir rien faire pour M. Bayard, et le malheureux s'est noyé. Oh ! instabilité des choses humaines ! »
Avec ce canular, Hippolyte Bayard réalise la première mise en scène de l'histoire de la photographie. L'idée de se photographier en cadavre, dans la position allongée, permet de mettre en valeur son procédé, qui nécessite une demi-heure de pose, durant laquelle il ne devait pas bouger sous peine d'être flou. L'image de ce féru d'art et bon dessinateur renvoie évidemment à la peinture religieuse, mais également, par la posture abandonnée du cadavre exalté par la blancheur du linge, au Marat assassiné de David. Bayard démontre ainsi que la photographie n'est pas un simple outil d'enregistrement du réel, comme on le pense alors, mais qu'elle produit une réalité propre. Une fiction au même titre que la peinture.