À l’origine de la photographie, scientifiques et sommités artistiques de l’époque critiquent avec bienveillance ou dédain (voire avec satanisme comme le fit l’Église) l’arrivée d’une représentation nouvelle. Du daguerréotype au digital ses praticiens ont su imposer leurs intuitions et leurs démarches aux plus conservateurs d’entre nous. Avec la photographie naît ainsi « L’Être photographe » qui constitue ses courants et ses fonctions dans le vaste monde de la création. Il devient pas à pas un acteur déterminent des alternatives artistiques contemporaines et des flux d’informationà dimension planétaire. Autour de lui s’affère une Cour composée de Gentilshommes et de frères ennemis, de généreux complices et de farfelus piques assiettes. Les premiers contribueront au long des décades à bonifier l’exigence de cet « Être photographe », les seconds accélèreront la progressive décadence liée à son commerce, par une recherche aveugle de capital et d’uniformisation. Ainsi « l’Être photographe » subit de plein fouet les variations liées aux « Temps Modernes ». Qu’il s’agisse des évolutions associées à la forme de son art (chaque époque tente d’échapper à son propre formalisme), ou à sa diffusion (après la prodigieuse domination de la presse, la photographie redeviendrait-elle, comme à ses débuts, dépendante de riches mécènes et de collectionneurs avertis), « l’Être photographe » est devenu un mutant contraint à une adaptation permanente dont le but est de préserver sa première source d’existence et de réussite : l’autonomie. Pendant longtemps il a suffi, avec un certain talent cela va de soi, de se déclarer photographe et de photographier pourrentrer et rester dans le cercle alors restreint des auteurs ou des artistesayant choisi la photographie comme mode de mise en forme de leurs propos. La photographie restait alors une technique et une culture accessibles à un petit nombre, et les structures susceptiblesde diffuser leurs créations demeuraient limitées voire élitistes. « L’Être photographe » n’avait qu’à bien se tenir pour conserver sa chaire. Que se passe-t-il actuellement ? Si la transformation de l’environnement ne date pas d’aujourd’hui, peut-être vivons-nous une période où les mutations se radicalisent. Intéressons-nous en priorité au métier de notre photographe et à la place de l’image chez nos contemporains. Son métier s’est démocratisé. C’est un bienfait à relativiser. Si la prolifération des formations appliquées à la photographie a permis au plus grand nombre de rentrer en contact avec la photographie, elle a aussi favorisé une dispersion de l’autonomie de notre « Être photographe ». Jusqu’à présent, cet apprentissage souvent formaliste des écoles a imposé au photographe, guidé en fonction des profils par son intuition, son engagement ou sa sensibilité esthétique, des choix techniques ou d’appartenance (devenir photographe de guerre, de natures mortes, de mode ou de packaging,…), et lui a appris à répondre à des contraintes de marché plutôt qu’à essayer de contraindre le marché à son exigence, à son image. Cette démocratisation a permis la multiplication des structures d’accueil pour ces nouveaux photographes toujours plus nombreux (agences, collectifs, associations en tout genre,…), et si cela permet sans conteste de fournir une chance de diffusion pour le plus grand nombre, cela favorise aussi l’idée reçue que « l’Être photographe » est à la portée de tous. La « révolution numérique » bouleverse considérablement la place, la qualité et la fonction de l’image. Jusqu’à présent on évoquait surtout le problème d’éthique et d’eshétique posé par le photographe pour passer d’un procédé argentique à un procédé numérique. Plus sérieux est sans doute l’accélération de la démocratisation de la photographie par le biais du numérique. Ainsi le téléphone portable permet désormais par exemple à chacun de se positionner comme photographe potentiel : comme nous avons pu le constater autour des événements récents du Tsunami, il devient plus spectaculaire et plus rentable pour un news magazine de se tourner vers la photographie réalisée, au cœur de la catastrophe, par un amateur avec l’aide de son téléphone portable. Pour toutes ces raisons et bien d’autres encore, « l’Être photographe » doit redoubler d’exigence et de détermination pour défendre son statut et préserver l’indépendance indispensable à l’expression de son art. « L’Être photographe » bénéficierait donc d’un mandat ou d’un statut temporaires, que beaucoup considèrent pourtant comme permanent. Ils oublient souvent qu’ils ont pu devenir cet « Être » atypique en proposant une alternative singulière et personnelle sur un sujet précis ou une approche originale de la photographie. De par son statut il incombe au photographe de défendre et de remettre en permanence en question cette approche unique qui lui permet d’exister parmi les siens et de rentrer en contact avec un public de plus en plus curieux, mais surtout de plus en plus averti de photographie. Bien souvent « l’Être photographe » se trouve ralenti par des pannes successives liées à des contraintes économiques bien réelles, ou à des contingences personnelles spécifiques. C’est là, précisément, que doit intervenir la richesse bien particulière aux auteurs et aux artistes qui détiennent de par leur talent, leur capacité visionnaire et leur ego clairement positionné, une capacité unique à exister par eux-mêmes. Nul ne peut mieux que chacun d’entre eux renouveler et remettre en question leur approche de l’image et exprimer ce qui leur reste à dire sur le sujet. C’est cette capacité de « l’Être photographe » à renouveler son discours ou son expression photographiques qui lui permettra, comme à ses partenaires (agence, galeriste,…), de défendre avec force, conviction et recherche de rentabilité sa juste place auprès des multiples acteurs de la diffusion de la photographie. C’est par cette même exigence que « l’Être photographe » continuera de marquer durablement l’histoire photographique en cours à laquelle il participe… Vincent Marcilhacy Directeur Corporate Agence VU