Emmett Till photographié par sa mère en 1954
Eté 1955. C'est l'histoire de deux mômes de Chicago, Emmett Till et son cousin Curtis Jones, descendant vers le sud, le Mississippi, pour rendre visite à leur grand-oncle Moise. Si la ségrégation scolaire a été déclarée inconstitutionnelle l'année d'avant, ce sont encore les lois Jim Crow qui mènent le Sud par le bout du suprémacisme blanc. Emmett Till va l'apprendre à ses dépens. Accusé à tort d'avoir flirté avec une femme blanche, il sera torturé et battu à mort par le mari de cette dernière et son demi-frère avant d'être jeté dans la rivière de Tallahatchie. Son corps sera retrouvé trois jours plus tard. Aux funérailles publiques du jeune garçon de 14 ans, sa mère choisira de laisser le cercueil ouvert pour montrer au monde la brutalité du lynchage. C'est elle encore qui autorisera le photographe David Jackson de venir photographier son fils pour http://www.artnews.com/2017/03/21/the-painting-must-go-hannah-black-pens-open-letter-to-the-whitney-about-controversial-biennial-work/". Les clichés insoutenables du visage écrasé et difforme d'Emmett sont un cri de rage lancé au blanc visage de l'Amérique. L'écho de ces photographies sera retentissant.
A tel point qu'aujourd'hui, la peinture de Dana Schutz semble poser problème. « Il n'est pas acceptable pour une personne blanche de transformer la souffrance noire en profit et en divertissement, même si cette pratique a été normalisée depuis très longtemps », a déclaré l'artiste Hannah Black. Ce à quoi Dana Schutz a répondu : « Je ne sais pas ce que c’est qu’être Noir en Amérique, mais je sais ce que c’est d’être mère. Emmet était le seul fils de Mamie Till. La pensée que quelque chose arrive à son enfant est inconcevable. » Alors bon. Si l'on a bien compris, seuls les artistes noirs peuvent parler des souffrances noires, mais les mamans blanches ont quand même le droit de parler des souffrances d'un enfant noir ? Que dire de Dylan dans ce cas, ni mère ni Noir, qui chanta l'émouvante chanson "http://www.artnews.com/2017/03/21/the-painting-must-go-hannah-black-pens-open-letter-to-the-whitney-about-controversial-biennial-work/"" ? Nous qui croyions que l'art restait un domaine de liberté absolue, où l'identité de l'auteur-e pesait moins que la puissance de l'oeuvre. A moins qu'il y ait de l'argent en jeu, ne soyons pas complètement naïf. Mais l' « Open Casket » de Schutz ne sera jamais mis en vente, a promis la peintre. Reste donc le poids avéré des inégalités entre Noirs et Blancs au sein d'une société états-unienne, encore traversée par le souvenir pas si lointain de la ségrégation. Si lourd et si intense qu'il s'incruste jusque dans le milieu de l'art. Après tout, ce dernier soulève aussi des questions d'égalité et de pouvoir autour de l’artiste, du modèle et du spectateur, entre celui qui crée et celui qui est (re)créé, entre celui qui regarde et celui qui est regardé. Aussi ubuesque et clivant qu'il nous paraisse, surtout vu de France, le débat a au moins le mérite d'être ouvert.