Masks, Helen Levitt © Film Documents LLC. All rights reserved.
Helen Levitt abandonne tôt ses études et, dès 1931, elle apprend la photographie chez un artisan photographe du Bronx où cette fille d’immigrants se familiarise avec la chambre noire, avant de portraiturer les amis de sa mère. Mais c’est la rencontre et la découverte des photographies d’Henri Cartier-Bresson, de Walker Evans et de Manuel Alvarez Bravo en 1935, lors de la fameuse exposition «Documentary and anti-graphic photographs» à la galerie Julian Levy, qui fut un véritable choc pour elle. Dès lors, comme eux, elle retiendra l’intuition comme matière première de ses photographies, mais s’abstiendra de toute incursion dans le photojournalisme. Par timidité, précisera-t-elle, et manque d’attrait pour la technique.
Snowcone, Helen Levitt © Film Documents LLC. All rights reserved.
Pendant près de soixante ans et sans que jamais ses images ne cherchent à raconter une histoire ou à défendre une thèse sociale, mais avec une empathie certaine, elle fera des rues des quartier pauvres new-yorkais son domaine de prédilection. En se glissant subrepticement et essentiellement dans l’univers des enfants et de leurs jeux de rues, elle s’émerveille devant l’énergie créatrice de leurs dessins à la craie sur les murs et les trottoirs et capte ainsi la poésie des rues avec des images à la fois spontanées et exigeantes, la solitude des vieux et la chorégraphie de la vie à l’emporte-pièce. La reconnaissance ne tarde pas. Édouard Steichen, conservateur de la photographie au Museum of Modern Art, lui accorde une exposition personnelle en 1943 : elle a 30 ans, y sera dévoilé l’un de ses clichés les plus reproduits : trois gosses en route pour Halloween, ravis sur le perron, avec leurs masques de fortune.
Ses confrères l’admirent. Walker Evans, par exemple dont elle fut l’élève et resta l’amie (elle l’accompagnera dans le métro quand il fera ses photos incognito). L’écrivain James Agee aussi. Ils réaliseront ensemble, avec Janice Loeb, « In The Street », un bijou de quatorze minutes monté en 1952 et accompagné des improvisations musicales de Arthur Kleiner. Version live de ses images immobiles.C’est en 1959 qu’elle aborda la couleur grâce à deux bourses de la Fondation Guggenheim. Mais tout a changé, les trottoirs se vident de leurs locataires, effondrés devant la télévision. Helen Levitt continue à traquer les dessous candides de sa ville natale. Une grande partie de ces travaux fut volée dans un cambriolage, mais les images qui restent et d’autres prisent les années suivantes révèlent une coloriste subtile. Parfois les compositions se complexifient bien que le regard reste franc et direct. Si le motif garde la primauté, la recherche formelle participe de ses desseins et contribue à la force et au sens de ses photographies.
Drawing, Helen Levitt © Film Documents LLC. All rights reserved.
Helen Levitt a su imposer sa vision d’un New York d’en bas, loin des miradors de la réussite. Son unique credo : «La beauté est dans la réalité elle-même.» John Szarkowski emblématique conservateur de la photographie au Moma qui succéda à Steichen de 1962 à 1991, dira à propos d’elle : «Personne ne la surpassait».