Ange © Claudine Doury
Expositions du 4/2/2016 au 20/3/2016 Terminé
La Galerie Particulière 16 rue du Perche 75003 Paris France
La Galerie Particulière 16 rue du Perche 75003 Paris France
Depuis « Sasha », la série qu’elle avait consacrée à sa fille et au passage de l’enfant à l’adolescente, puis à la jeune fille, sur un mode intimiste et onirique, proche du conte de fées, Claudine Doury ne cesse de questionner cet entre-deux de l’âge, du corps et du temps, à la fois fragile et violent, qu’est l’adolescence. Mais si, jusqu’alors, l’homme n’apparaissait, fugitivement, que comme un figurant dans ses images, il advient au cœur même de « L’Homme nouveau », série entièrement réalisée au sein de St Petersbourg. On verra un double écho à ce titre : à l’impératif révolutionnaire du bolchévisme, bien sûr, mais aussi à ce moment de mue et de mutation où l’adolescent éclot en homme. Entre-deux, passage d’une frontière, métamorphose ovidienne : c’est ce moment si singulier, unique, de crise et d’avènement à soi, que l’artiste s’obstine à capter, à décrypter.
Ilya © Claudine Doury
Ce faisant, elle questionne ce qu’il en est de l’identité masculine – qu’est-ce que devenir un homme ? Et un homme dans une Russie elle-même en pleine mutation, qui n’a plus rien à voir avec l’URSS de la guerre froide et des rideaux de fer ? – mais aussi, et plus radicalement peut-être, se positionne comme une femme qui ose, enfin, regarder les hommes. Comme les hommes de tous âges l’ont fait, pendant des siècles, et en toute évidence, avec les femmes. Ce droit au « female gaze » est récent, il faut y insister. Et il est le fruit d’un long combat, mené notamment par des artistes américaines telles que Sally Mann, proclamant : « Je suis une femme qui regarde », et pourquoi pas les hommes. C’est une vraie conquête du regard. A tous ces jeunes hommes russes, issus des classes moyennes, venus des quatre coins de cet immense pays et convergeant vers St Petersbourg pour y étudier les arts et y inventer une nouvelle vie, aux antipodes de leurs aînés, l’artiste dit : « Laissez-moi vous regarder ». Et vous photographier.
Stanislav © Claudine Doury
Pas de décors superflus, ni de mises en scène inutilement sophistiquées : de simples fonds aux chromatismes sourds, des cages d’escaliers, des murs écaillés... Des corps saisis en buste, ou des plans resserrés sur les seuls visages. Et si tous se veulent résolument modernes, tournés vers l’art et la culture, connectés avec le reste de la planète, s’appropriant les codes de la mondialisation, leurs portraits , pourtant, s’avèrent transhistoriques: éternels Petits Princes, éphèbes grecs ou archétypes de l’aristocrate renaissant, tous renvoient, peu ou prou, dans notre mémoire iconique, aux tableaux de Léonard, Dürer, ou Holbein. Certains affirment un type slave – peau lunaire, pommettes saillantes, regard bleu glacier, blondeur de blés, musculature fermement dessinée - , tandis que d’autres ont le charme ambigu des fleurs coupées: fragiles comme des Saint Sébastien promis à la flèche meurtrière, graciles et menus, ils semblent osciller, hésiter entre les genres. Et reposent ainsi la question à laquelle il est si difficile de donner une réponse univoque, dogmatique : qu’est-ce que le masculin ? Claudine Doury ne répond pas, et c’est sans doute là la justesse de son travail : refusant de faire poser des adolescents trop virils, trop « genrés », finalement – nul « hipster » dans sa collection d’hommes nouveaux – elle nous laisse face au tremblement de la question elle-même, comme l’adolescent est la fragile esquisse de l’homme à venir.