Ukraine, 1998, Mer Noire, © K. Sluban
Un cygne y fait l’autruche, tout son col secouant cette noire agonie. C’est une onde mau- vaise à boire, la mer de la tragédie, celle de Médée et d’Iphigénie en Tauride, celle de Po- temkine et des mutins. Elle-même, on ne la voit guère. Lieu de lueurs immobiles sous les colonnes, infinie scène de théâtre où erre un personnage minuscule. Ou bien terrain vague du ciel, rebut de nuages dilués en sale écume. A son bout, un banc n’attend personne, des parapets n’invitent à aucune contemplation. On est au pays de l’absence.
Nul être humain ou presque ne paraît sur les rivages de cette mer qui semble être une catégorie de la ruine, un état de la décrépitude. Dalles lézardées, digues disloquées, tas de ferrailles bornent ses confins, où les épaves se dressent comme des stèles. Une guir- lande d’ampoules sous la pluie est comme le monument dérisoire commémorant des fêtes très anciennes, depuis longtemps abolies. Des bateaux fantômes naviguent par-là, formes floues remorquant des paquets d’ombre. Partout répandu, quelque chose de funèbre. Du bord de ces paysages qui évoquent les ternes enfers des Anciens, on revient bredouille, au soir, par-dessus un achéron qui ressemble à un égout. S’il fallait lui donner un autre nom, à cette mer qui broie du noir, je l’appellerais la Mer de la Mélancolie.
Turquie, 1997, Mer Noire © K. Sluban
Ukraine, 1999, Mer Noire © K. Sluban