
CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES © 1983 EMBASSY INTERNATIONAL PICTURES. © 2003 MONARCHY ENTERPRISES S.A.R.L. COLLECTION ANGELO NOVI / CINETECA DI BOLOGNA. Tous droits réservés.
Tout comme son personnage principal, Il était une fois en Amérique voyage dans le temps. Trente ans après sa sortie, l’ultime œuvre de Sergio Leone est toujours en devenir. Soutenue par la famille Leone, l’Immagire Ritrovata de Bologne propose une nouvelle version de 4H11 s’approchant des 4H30 dont rêvait initialement le réalisateur italien. Grâce à la restauration, sept scènes supplémentaires viennent compléter cette épopée cinématographique. Il était une fois en Amérique est moins un récit qu’une réflexion sur l’image et le cinéma. Sublimé par la photographie de Tonino Delli Colli, le dernier chef d’œuvre de Leone s’impose par sa forme.
Couché dans un théâtre chinois, Noodles –incroyable Robet De Niro- fume l’opium, cette drogue qui fait imaginer le passé comme le futur. Il était une fois en Amérique explore ses souvenirs et ses rêveries sans jamais départir le vrai du faux. Noodles aurait grandi dans le ghetto juif de New-York, dont il serait devenu, avec ses amis, l’un des plus importants mafieux. Noodles aurait aimé une femme, Deborah alias Elizabeth McGovern, et un homme, Maximilian alias James Woods. La frustration de ses amours contrariés et interdits, intensifie sa violence jusqu’à une rédemption finale – à moins que celle-ci ne soit qu’imagination, elle-aussi.

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Au cinéma, on aime croire que ce qu’on voit, l’image, correspond à une réalité du récit. Or dans Il était une fois en Amérique, la représentation se refuse à affirmer une réalité ou une vérité, ne serait-ce que fictive. L’image est une illusion, même pour le personnage. On peut accuser le film d’être narratif, mais la narration - ici - sert la perte de repères. Plus on se rattache au récit, qui dans son ensemble respecte un schéma narratif, plus on est perturbé par des éléments qui viennent soulever son étrangeté – la dernière scène notamment. L’interprétation du spectateur reste libre autant sur le degré de réalité des aventures de Noodles, que sur les propos sous-jacents du film : l’homosexualité refoulée des personnages ou la menace de la Shoah – soulevée par une scène avec un chauffeur de taxi, ajoutée par la présente restauration.
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On peut aussi considérer que Sergio Leone file sa métaphore sur l’Amérique comme monstre sacré. Le jeu, l’amusement, le fantasme gangster deviennent l’horreur absolue. L’idéalisme, qu’il soit politique ou amoureux – oui l’amour est un idéal –, finit corrompu. Le désir d’ascension sociale et culturelle mène, comme dans Martin Eden que Noodles lit dans les toilettes, à la tragédie. Autant d'interprétations possibles dans ce récit… Et pourtant, c’est toujours la forme qui obsède, parce que le film ne traverse pas seulement l’histoire de Noodles – et celle de l’Amérique avec lui – il est une traversée à lui seul. L’hallucination perpétuelle de Noodles, devient celle du spectateur émerveillé par la virtuosité de chaque plan.
Voir par l’interstice, regarder par le trou, cadrer le fantasme. Cette fissure dans le mur, par lequel Noodles regarde Rebecca danser, c’est un écran de cinéma. Quand il regarde à travers, peu importe qu’il ait 14 ans ou 60 ans, Noodles y voit les mêmes images. Il est voyeur et par essence spectateur, renvoyant le spectateur à sa propre place. Il contemple, lui aussi, à travers l’écran de cinéma, un imaginaire. Le voile qui, à la fin, couvre le sourire de Noodles, représente toujours et encore, la toile de cinéma. Sergio Leone affirme le film comme une hallucination où le réel se dérobe perpétuellement. On erre dans Il était une fois en Amérique, comme dans un rêve où l’évocation permet la transition : tel objet dans telle scène appelle tel autre objet dans telle autre scène. Avec une clé, une lumière, une sonnerie de téléphone ou encore cette fissure dans le mur, Sergio Leone impose son art du montage. Or, comme l’écrivait Godard : « Quand des effets de montage l’emporteront en efficacité sur des effets de mise en scène, la beauté de celle-ci s’en trouvera doublée ». De fait, la mise en scène est d’une beauté rare. Que ce soit la reconstitution d’époque, l’agencement des plans, les effets de style habituels de Sergio Leone (gros plans, travellings, musique d’Ennio Morricone…), tout s’assemble pour arriver à cette composition artistique magnifique.


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Mais le film ne serait rien sans sa photographie superbe, dirigée par Tonino Delli Colli. Ayant déjà travaillé avec Leone sur Le bon, la brute et le truand ainsi que sur Il était une fois dans l’Ouest, Tonino Delli Colli est aussi le chef opérateur de Pasolini. En maniant la lumière, les ombres, les couleurs, il transforme chaque plan en peinture grandiose et poétique – et ce malgré leur caractère parfois violent. Dans la scène restée la plus célèbre, sous le pont de Brooklyn, le ralenti capture aussi bien le tragique en cours, que les lumières et couleurs d’un tableau en train de se défaire. L’image incarne alors elle-même la perdition du temps. Sa noirceur mais aussi l’insertion d’éléments récurrents comme la fumée – celle de l’opium ou celle des rues – la poussière – comme lorsque Max est assis sur son trône - indique un flottement proustien. Le temps dilate l’image elle-même. Les scènes restaurées ont, elles aussi, subi, à leur manière, l’épreuve du temps. Ces scènes que l’on croyait perdu sont abîmées et donc facilement repérables à l’écran. Malgré leur mauvaise qualité, elles complètent le récit –notamment sur le syndicaliste – tout en renforçant son mystère, comme dans la scène avec Louise Fletcher en directrice de cimetière.
« L’image c’est l’acte constitutif radical et simultané du réel et de l’imaginaire », disait Edgar Morin. Chaque plan d’Il était une fois en Amérique affirme cette dualité complice à la fois au spectateur mais aussi, par un processus de mise en abime, au personnage. La plus belle des interprétations est alors celle où l’opium symbolise le cinéma, cette illusion vitale. On s’est assis dans un fauteuil comme Noodles s’est allongé sur un divan, pour rêver.

