© Géraldine Lay
Expositions du 16/5/2015 au 27/5/2015 Terminé
Librairie Maupetit 128 La Canebière 13001 Marseille France
Etienne-Jules Marey, avec la chronophotographie, décomposait le mouvement en une succession de temps arrêtés, mais chacun était indépendant : ce n’était donc pas du cinéma, le statut de chaque image était bien celui d’une photographie : ce n’est que notre lecture de l’ensemble qui nous permet de lier la série dans un mouvement créé mentalement.Librairie Maupetit 128 La Canebière 13001 Marseille France
Dans l’oeuvre de Géraldine Lay, nous sommes face au processus inverse : c’est le film de la vie qui, par la photographie, est interrompu, cette rupture du flux décompose une durée qu’à la mesure de notre imaginaire nous recomposons en temps arrêtés. Elle nous distille ses plans de coupe saisis juste avant qu’elle tourne les talons pour échapper au déroulement permanent de la fiction du monde. Elle nous invite à établir notre film avec ses images qui se balancent comme des temps suspendus entre des durées sans âme. L’âme, elle, est toute concentrée, là, dans ces états d’enrobement tactique du réel. Géraldine, porteuse de ses états d’âme, ne propose pas un scénario, elle mise sur ce qui sépare dans le temps deux choses de même nature. L’image photographique est parfaite pour jouer ce rôle intermédiaire, cette séparation entre chien et loup, entre apprivoisé et sauvage, ce moment où l’on n’est plus capable de discerner, où la perte de la distinction nous renvoie à la fragilité de nos perceptions et nous plonge dans la projection, l’imagination. On crée alors une fiction pour pallier notre défaut de vision, pour lutter contre l’inquiétude de l’illusion. Il y a quelque chose du drame intérieur, pas celui des consciences tourmentées et des sentiments incertains,mais celui des sensations muettes qui éprouvent l’action silencieuse de la mélancolie. Le drame immobile de la vie ordinaire.
(…) Ces photographies sont une attente, on se demande ce qui va suivre et, de fait, ce qui a précédé. Il n’y a jamais de certitude ; nous sommes devant une panne du mouvement, dans des images subliminales qui très vite vont disparaître. Elles se regardent avec le sentiment qu’elles sont proche de s’évanouir, qu’il faut que nous en profitions encore un peu pour les imprimer en nous, les sauver de leur disparition latente. Si par hasard le mouvement repartait, le banal l’accompagnerait à nouveau et il n’y aurait plus rien à voir ; le brouhaha reprendrait, le désordre des corps et de leur flot formerait derechef le flux. On a la sensation que les personnages sont concentrés dans leur immobilité, dans l’attente que le cri du metteur en scène – “on tourne” – soit lâché et qu’enfin il y ait action. La question est : Comment se fait-il que nous ne puissions voir, seuls, ces pannes du mouvement ?
Jacques Damez, 2012, préface de la monographie Failles ordinaires publiée aux Editions Actes Sud, disponible en français et en anglais ci-joints..