Oui cette photo d'enfant confondant un appareil photo avec une arme est émouvante. Oui cette photo d'enfant traumatisé par la guerre est d'une infinie tristesse. Oui la guerre c'est horrible, bienvenue dans la réalité.
Alors que la guerre fait rage en Syrie depuis quatre ans, que des photos des atrocités commises par le gouvernement de Bachar El-Assad, comme par une partie des opposants, sont diffusées tous les jours, c'est une photo d'enfant -encore une fois- qui provoque aujourd'hui une émotion mondiale. D'abord publiée en janvier dans un journal turc, l'image a été postée sur Twitter le 24 mars par une photojournaliste palestinienne, Nadia Abu Shaban. Depuis elle a été retweetée 21 000 fois et fait le tour des plus grands médias internationaux. Tous s'émeuvent de cet enfant qui confond l'appareil photo du journaliste avec une arme.
© Abd Doumany
Prise en 2014 par Osman Sagirli, cette photo irait au-delà des mots, représenterait à elle seule les 5.6 millions d'enfants qui, selon les http://www.un.org/apps/news/story.asp?NewsID=50436#.VRvu30Zv3IF">Nations, nécessitent de l'aide en Syrie. Elle est l'expression du traumatisme de toute une jeunesse dont les pistolets en plastique ont été remplacés par de véritables armes lourdes. Elle met « un visage à une guerre complexe et dévastatrice » selon le site australien http://www.un.org/apps/news/story.asp?NewsID=50436#.VRvu30Zv3IF">Nations. Admirable... et écoeurant.
Incarner une guerre. Représenter la complexité. Emouvoir plutôt que d'expliquer.
Plus que l'indignation ou une prise de conscience, c'est de la pitié que la photo inspire, une pitié qui écoeure. Les réactions sur twitter sont touchantes mais tristement désincarnées. Concentrées sur l'émotion, elles réduisent la photographie à des banalités affligeantes : « ça brise le coeur » « ça me fait pleurer » « Oh mon Dieu :(((» ou encore « la terre c'est l'enfer ». Comme si cette photo d'enfant déposséde de sa propre histoire, se mêlait aux photos de chatons « trop mignons » et anonymes.
© Abd Doumany
Le buzz a un nom : Adi Hudea.
C'est une enfant de quatre ans qui a perdu son père dans un bombardement. Elle est réfugiée dans un camps à Athmeh, situé à 10 kilomètres de la frontière turque, avec sa mère, son frère et sa sœur. La guerre l'a privée d'un père, bouleversant son quotidien comme de millions d'autres personnes... Sa vie est au cœur d'enjeux politiques et économiques qui dépassent de loin la Syrie. Son enfance brisée mérite bien plus que quelques commentaires larmoyant sur internet. Immergée dans un monde d'images, cette photo révèle une hypocrisie ambiante, celle qui consiste à poster des commentaires désolés sous une photo d'enfant mignon alors même que l'on détourne la tête face aux images de cadavres et de destruction. Tout ce que semble déclencher cette photo, c'est une vague d'émotion creuse.
Jeune fille brulée au napalm en 1972 au Viet Nam © Nick Ut Cong Huynh / associated press
L'émoi autour de cet enfant joufflu interroge la société médiatique dans laquelle nous vivons. Les photographies d'enfant de guerre ont souvent illustré et immortalisé des conflits, comme celle de Nick Ut au Viêt Nam (ci-dessus). Mais cette image d'Adi Hudea sera peut-être, l'histoire le dira, la première photographie 2.0 d'un enfant guerre. Contrairement aux autres photos qui ont été désignées par des professionnels comme symboliques d'un événement, c'est ici le peuple qui relaie l'image, grâce aux réseaux sociaux, et la choisit comme représentation de leur propre imaginaire de la guerre. Cette photographie est un buzz. Elle dépasse le conflit syrien et dévoile une perversion.
Alors quoi ?! Après quatre ans de conflits ignobles, le monde sort de sa torpeur, découvre que la guerre en Syrie est une tuerie, une ignominie, une abjection, un cauchemar. Comme si le monde était resté aveugle faces aux images publiées jusqu'alors, comme celles de Abd Doumary, dont le travail vient d'être récompensé par le http://www.un.org/apps/news/story.asp?NewsID=50436#.VRvu30Zv3IF">Nations. Il faut donc toujours et encore de l'émotion, de l'humain, de l'innocence pour attirer le regard des autres. Avec sa tête de bambin, ses petites mains en l'air, son regard noir et le récit qui l'accompagne Adi Hudea semble être un personnage mis en scène.
Afghan Girl, en juin 1985 dans un camps de réfugié en Afghanistan © Steve Maccurry
Pourtant son auteur, Osman Sagirli, que la BBC a fini par retrouver en reportage en Tanzanie, a affirmé l'authenticité du cliché : « J'utilisais un appareil longue focale et elle a pensé que c'était une arme. J'ai réalisé qu’elle était terrifiée seulement après avoir pris la photo ». Le photographe, dont il nous a été impossible de retrouver d'autres photos, affirme donc la véracité du cliché et de son contexte. Mais se pose aussi la question de son lent relai. Publiée en janvier dans un journal turc, comment s'est-elle retrouvée sur le twitter d'une jeune Palestinienne en mars ? Nous avons contacté Nadia Abu Shaban pour savoir comment cette photo était arrivée jusqu'à elle et nous attendons sa réponse. A suivre donc...
Sources :
http://www.un.org/apps/news/story.asp?NewsID=50436#.VRvu30Zv3IF">Nations
http://www.un.org/apps/news/story.asp?NewsID=50436#.VRvu30Zv3IF">Nations
http://www.un.org/apps/news/story.asp?NewsID=50436#.VRvu30Zv3IF">Nations
http://www.un.org/apps/news/story.asp?NewsID=50436#.VRvu30Zv3IF">Nations