© Gilles Roudière
RECORD VOL. 10 - CONTRASTED PLACES
La galerie in)(between présente l’exposition Record vol. 10 - Contrasted Places, qui regroupe le travail de Takehiko Nakafuji et Gilles Roudière.
Les deux photographes ont en commun une esthétique largement inspirée de la photographie japonaise d’après-guerre, une pratique très spontanée et intuitive de la prise de vue ainsi qu’un sujet de prédilection : l’exploration de territoires, le plus souvent urbains. Par le biais d’un grain fort, de contrastes marqués, d’angles de vue désaxés et d’imperfections assumées (comme le flou ou de fréquentes surexpositions), leurs clichés argentique en noir et blanc s’inscrivent dans la filiation de Daido Moriyama. Plus que le fruit d’une construction réfléchie et mûrie, leurs images témoignent d’une réaction organique à l’extérieur, suscitée par des promenades immersives, à la fois contemplatives et méditatives, dans les lieux qu’ils visitent. La différence entre les deux artistes réside dans le curseur de leur rapport à la réalité : là où Nakafuji s’inscrit davantage dans une veine documentaire au travers de son illustration des réalités sociales, Roudière s’emploie à capter l’âme d’un espace en en illustrant les éléments les plus intangibles.
Takehiko Nakafuji s’intéresse depuis ses débuts à l’activité des métropoles, qui constituent pour lui un sujet d’expression inépuisable. Il parcourt les villes d’Europe de l’Est, de Russie, du Japon ou des États-Unis et réalise de nombreux portraits et scènes de rue en noir et blanc. Après la chute du mur de Berlin, il se concentre sur les anciennes capitales du socialisme soviétique et s’attache à capturer l’évolution des mœurs, les signes des changements politiques, économiques et sociaux que traversent ces lieux en transition. Alors que ses photographies de Berlin, Varsovie, Prague et Budapest donnent lieu à la série Winterlicht, il décide de consacrer une série indépendante à Bucarest, ville qu’il qualifie de « diabolique ». À la fin des années 90, la capitale de la Roumanie est en effet en ruines, plongée dans le chaos au sortir de la révolution sanglante qui l’a libérée du régime totalitaire de Ceausescu. Takehiko Nakafuji parvient à exprimer cette atmosphère si particulière, entre souvenir d’un passé austère et espoir de renouveau, dans des images intenses, dynamiques, aux contrastes rehaussés par l’utilisation du papier forte, qui poursuivent sa passionnante exploration formelle en naviguant entre pure documentation et touches surréalistes.
© Takehiko Nakafuji
Gilles Roudière conçoit la photographie comme l’expression de l’expérience émotionnelle unique et intensément subjective qu’il a des lieux. Autodidacte, c’est cette même émotion qui le guide dans la curiosité intarissable dont il fait preuve à l’égard des images des autres : « Je suis probablement devenu photographe quand j’ai cessé de comprendre les images mais les ai ressenti » dit-il. Ses projets sont dans un premier temps circonscrits à des frontières géographiques ; il explore ce qui fait un lieu. Il apprécie en particulier la variété des paysages et des décors urbains, les ensoleillements très durs qui lui permettent de jouer des contrastes, les atmosphères poussiéreuses et enfumées, autant d’élément que révélait déjà Shitet, sa série réalisée en Albanie. De ses images souvent floues, cernées d’ombre et de brouillard, se dégage un pouvoir d’évocation presque fantomatique : elles exaltent la magie et le mystère de pays qui semblent, sous son objectif, à la fois perdus et attachés à leurs passés. Expressionniste, le noir et blanc aide également le photographe à construire et structurer ses images pour mettre en lumière l’essentiel, soustrayant aussi bien l’anecdotique que les éléments trop évidemment narratifs. Gilles Roudière transcende ainsi le style documentaire, le transportant dans le territoire de l’imaginaire et de la métaphore. Sa pratique de la photographie pourrait être comparée à l’écriture poétique des haïkus japonais. Il présente à l’occasion de cette exposition à in)(between gallery ses nouvelles images réalisées en Israël, Palestine et Turquie, à Istanbul
© Gilles Roudière
GILLES ROUDIERE
Né en 1976, Gilles Roudière vit et travaille à Berlin. Il voyage régulièrement dans les pays d’Europe Centrale et Orientale. Sa série sur l’Albanie a fait l’objet de plusieurs expositions, au festival Circulation(s) à Paris, aux Promenades Photographiques de Vandôme ou encore à la galerie l’Imagerie à Lannion durant l’été 2013. Plus récemment, il poursuit son exploration photographique en Israël, Palestine et Turquie, à Istanbul. Son nom figure au sein la liste du British Journal of Photography des photographes à suivre en 2014.
TAKEHIKO NAKAFUJI
Né en 1970 à Tokyo, Takehiko Nakafuji met un terme à ses études de lettres pour se consacrer à la photographie. Il suit les cours de Daido Moriyama aux arts visuels de Tokyo et obtient un diplôme en photographie. Il voyage en Europe de l’Est, en Russie, au Japon, à Cuba ou encore aux États-Unis. Takehiko Nakafuji parcourt les villes et réalise de nombreux portraits et scènes de rue en noir et blanc. Il reçoit en 2013 le « Special Photographer Award » au Festival International de photographie de Higashikawa (Japon) pour son récent travail Sakuan, Matapaan : Hokkaido. Il dirige la galerie Niepce située à Yotsuya, Tokyo.
RECORD VOL. 10 - SAKURA
La galerie in)(between présente l’exposition Record vol. 10 - Sakura autour de la série photographique réalisée par Mao Hisatsuka et Yang Seung-Woo.
La japonaise Mao Hisatsuka et le coréen Yang Seung-Woo forment un couple de photographes. Si chacun travaille à ses propres projets, ils utilisent également tous deux ce médium pour capturer l’instantanéité de leur vie commune, révélant une sorte de journal intime.
Les deux artistes se sont rencontrés alors qu’ils étaient encore étudiants. La série remonte aux origines de cette histoire d’amour et s’ouvre sur leur expédition d’Hanami, coutume japonaise qui consiste à se rendre auprès des cerisiers pour admirer leur floraison. Yang raconte qu’à chaque printemps il allait voir les cerisiers en fleurs, mais que cette sortie commune est la première au cours de laquelle il a vraiment apprécié leur beauté. Ce souvenir donne son nom à la série, Sakura signifiant « le cerisier » en japonais. A partir de cet acte fondateur, les deux artistes ont naturellement pris l’habitude de se photographier mutuellement, y compris dans les moments difficiles de leur histoire. Mariés en décembre dernier, ils ont pour intention de continuer ce travail d’archive en y incluant leurs enfants, jusqu’à ce que la mort les sépare.
© Mao Hisatsuka
A l’origine, ces photographies étaient destinées à leur usage personnel plutôt qu’à être exposées. Elles s’inscrivent dans la veine très contemporaine de l’auto- documentation, autorisée par les nouveaux supports médiatiques et largement diffusée par les réseaux sociaux. Ces clichés où prime la spontanéité se caractérisent par leur absence de recherche esthétique. Si les sujets sont cohérents (portraits et autoportraits, objets ou paysages souvenirs...), la forme se définit par sa multiplicité : s’y mêlent couleurs et noir et blanc, dynamisme des postures et staticité, flou ou netteté... Ce qui fait dire à Yang Seung-Woo qu’il ne s’agit pas, à ses yeux, de « bonnes photographies ». Elles n’en sont pas moins extrêmement importantes pour lui en tant que formalisation de son histoire intime, incarnation de sa vie même.
YANG SEUNG-WOO
Né en 1966 en Corée du Sud, Yang Seung Woo a été durant son adolescence un membre actif des Yakuza coréens (mafia coréenne). La plupart de ses amis sont aujourd’hui devenus des parrains Yakuza. Yang quitte son pays natal il y a 17 ans alors qu’un de ses plus proches amis - qui passa 10 ans en prison pour le meurtre d’un rival - se suicide. Il cherche en vain une photographie de son ami pour se remémorer son image. Ne trouvant aucune photographie de lui, il décide de partir; de reconstruire sa vie au Japon et d’apprendre la photographie. Il enseigne ensuite la photographie à l’Ecole Polytechnique de Tokyo. Il est aujourd’hui un artiste reconnu au Japon. Il documente quotidiennement la vie des passants qu’il croise au Japon et à l’occasion de ses différents voyages de l’Afrique à l’Asie du Sud-Est.
© Yang Seung Woo
MAO HISATSUKA
Né Fukuoka au Japon en 1981, Mao Hisatsuka a débuté sa carrière de photographe en tant que chef opérateur pour la télévision. Elle participe à un stage de photographie alors qu’elle étudie à l’École Polytechnique de Tokyo. Elle fait au même moment la connaissance de Yang qui l’encourage à poursuivre ses projets artistiques. Elle continue ses études en photographie et se lance en tant que freelance. Elle reçoit le le Grand prix NATORI Yonosuke Photography pour la série d’images qu’elle a réalisée durant son premier stage à l’École Polytechnique. Elle s’intéresse notamment à l’enfance en tant que sujet photographique.