© Hamid Blad – agence révélateur
Galerie Robinson 10 rue de Picardie 75003 Paris France
Dans « Masculin/Masculin », le Musée d’Orsay proposait l’année dernière, de manière assez inédite, un parcours dans l’histoire de l’art autour du corps de l’homme. Un panorama riche, mais assez classique, sage ont dit certains.
Le corps masculin est aussi au cœur de l’œuvre de Robert Mapplethorpe, dont la rétrospective que lui consacre actuellement le Grand Palais attire de nombreux visiteurs. Coïncidence ou questionnement libéré de l’image masculine ?
Force est de constater que l’institutionnalisation induite par ces grandes expositions lisse la réception des travaux des artistes exposés.
Les aspérités, l’animalité et l’érotisme, sans parler de la pornographie au sens large, sont souvent gommés, expurgés des représentations masculines qui circulent dans la publicité, l’illustration, la presse. Comme si le corps de la femme pouvait être manipulé
sans limite, à l’inverse de celui de l’homme reste principalement l’objet de représentation classique, même lorsqu’il s’agit de nu.
© Damien Guillaume - agence révélateur
« Corps hommes parcelles » propose une réflexion contemporaine et décomplexée de trois photographes hommes sur le corps masculin (et peut-être par là un questionnement sur leur propres corps ?).
À travers trois propos et trois procédés différents, Hamid Blad, Damien Guillaume et Yann Amstutz envisagent le corps masculin dans des univers particuliers, mais dans des temps tous suspendus.
Pour sa série inédite « Corps anonymes », Hamid Blad a choisi un procédé lent pour rendre compte conceptuellement et sensuellement d’un sujet de société assez tabou. Les hommes qu’il a photographiés sont pour la plupart des escortes qui proposent leurs services sur internet. C’est par ce biais que le photographe les a contactés. Face à l’uniformisation des images numériques, à la répétition et au systématisme des pauses et des mises en scènes des images masculines circulant sur la toile, Hamid Blad a opposé un autre systématisme. Celui du procédé du collodion humide* (ici sur plaques de métal). En préservant l’anonymat des modèles (aucun de leur
visage n’est dans le cadre), Hamid Blad concentre son regard (et le nôtre) sur ces corps d’hommes. Il les révèlent non pas dans leur réalité mais dans leur vérité : la précision du collodion donne au grain de peau son véritable relief, la lumière y est adoucie par le temps de pause long, les accidents aléatoires du collodion donne humanité et fragilité à ces corps dont la représentation numérique contemporaine se doit d’être parfaite, et devient quasi-artificielle.
« Corps anonymes » s’articule autour d’une installation de collodions sur plaque de métal (pièces uniques) associés à plusieurs tirages de plus grand format réalisés à partir des plaques. Dans ce travail sensible, poésie tactile de l’imprévu, Hamid Blad redonne corps à ces corps masculins. Il a souhaité inviter deux photographes pour dialoguer et enrichir son regard. Damien Guillaume et Yann Amstutz ont répondu favorablement à ce projet.
« Mythes décisifs » de Damien Guillaume a été exposé plusieurs fois, en France et à l’étranger. Cette série de photographies réalisées en noir et blanc, puis colorisées numériquement, représente dans son intégralité l’expression d’un univers personnel livré aux fantasmes. Dans cet intérieur intime, maison protectrice et matrice, Damien Guillaume a fait pauser des modèles masculins et féminins, pour la plupart des amis proches, les mettant en scène selon ses propres désirs.
Expurgé de représentation féminine, la sélection ici présentée prend une tournure assez transgressive du corps masculin. La colorisation permet au photographe de perturber le genre, de décoller d’une réalité virile pour approcher une représentation non sexuée mais toujours sensuelle. Assumant par ailleurs le trouble que lui procurent les corps féminins tant que masculins, Damien Guillaume change parfois les codes associés au genre. Ses hommes semblent maquillés, leurs lèvres sont d’une carnation cosmétique plutôt
féminine tout comme leurs gestuelles. Ils semblent aussi fragiles, en attente, seuls, parfois à la limite de l’effondrement. A l’opposé de la représentation massive et rassurante qui est généralement associé au corps masculin. Ce sont ses émotions et sensations immédiates, au contact de ces corps, que Damien Guillaume a écouté pour les mettre en scène, se les approprier, entre tentation et irréalité.
La série «Joysticks» de Yann Amstutz rassemble une collection de phallus en érection présentés à contre-jour. Les sexes bandés sont auréolés, nimbés d’une intense lumière, à la fois douce et protectrice. La posture de la main est précise, délicate. Le geste
est répété, décliné par autant de modèles, que de photographies. Il évoque à la fois la manipulation d’une manette de jeu vidéo et la recherche du plaisir solitaire. A l’ère où le cyber sexe et de la pornographie sont banalisés, la série «Joystick» propose un regard
sensible et sensuel sur l’autosexualité.