Née en 1942 d'une famille aristocrate, la petite Françoise Huguier quittera bien vite sa ville natale de Thorigny-sur-Marne, pour migrer en Indochine avec ses parents et son frère, plus précisément au Cambodge. Un peu à la façon de Marguerite Duras, l'enfant qu'elle est alors grandit dans les plantations d'Hévéas.
Parce que la mémoire est en grande partie traduite visuellement, que l'enfance est le lieu d'une expérience déterminante, il est primordial de souligner l'importance d'un des évènements de la vie de la photographe. A l'âge de huit ans, Françoise Huguier sera enlevée avec son frère. Pendant sept mois l'enfant sera détenu par les khmers issarac (Viet-mînh), et se trouvera éloignée de ses parents.
Emue par l'image architecturale, la jeune-femme découvre la photographie à travers des clichés d'infrastructures ou de batiments. Ces inclinations pour les perspectives, les lignes, les formes et la matière seront autant de fils conducteurs à l’esthétique marquée et particulière de l'artiste.
En 1983, Françoise fait une rencontre qui sera l'élément modificateur de sa carrière : celle de Christian Caujolle, alors rédacteur en chef photo à Libération. Cette première collaboration sera le précurseur de celles à venir, pour de grands magazines français ou étrangers.
Insatiable voyageuse, Françoise Huguier embarque un an pour l'Afrique, où elle suit les traces de l'auteur et chercheur Michel Leiris ( décédé en 1990).
Plus tard, elle parcourt la Sibérie, la Russie, laquelle lui inspira à la fois l'image fixe et en mouvement : un reportage photo Kommunalki, et un film Kommunalka verront le jour. La photographe revient également sur les pas de son enfance en retrouvant le Cambodge et l'Afrique du Sud. Cette période sera l'occasion de la parution d'un nouvel ouvrage en 2005 chez Actes Sud : J'avais huit ans, narration d'images et de texte qui raconte, qui se penche sur l'enlèvement que la fillette qu'elle était a subi.
En parallèle, Françoise Huguier se consacre également à la photos de mode. Des visuels savoureux, exotiques et marqués, qui semblent explorer les limites différenciatrices entre le reportage et une esthétique a priori démarquée qu’incarne la mode. Elle collaborera de cette façon aux cotés de Marie-Claire, Vogue, ou encore du New-York Time Magazine.
Outre une efficacité certaine derrière l'objectif, la photographe ne se contente pas seulement de contempler et de capturer, elle agit également en tant qu'initiatrice de programmation, que créatrice d'une impulsion nécessaire au monde de la photographie. Ainsi en 1994, elle crée la première Biennale de la photographie africaine à Bamako au Mali. Elle sera aussi la directrice artistique de Photoquai en 2011, et la commissaire du mois de la Photo en 2011.
Deux ans plus tard Françoise Huguier dresse une étude sociale des classes Singapourienne à travers l'exposition Vertical/Horizontal Intérieur/Extérieur.
Tout récemment, la photographe a publié Les Nonnes, un petit ouvrage lisse et fin, consacré aux femmes du milieux religieux en Colombie. Spirituel et éternel, le livre traite d'un paradoxe délicieux, celui du matérialisme apparent dans ces congrégations, et pour cause : certaines des religieuses s'éclipsaient pour se rougir les lèvres avant le portrait...
Difficile de synthétiser donc, de dresser une liste exhaustive d'une personnalité passionnée, complexe et décomplexée. Françoise Huguier représente le monde, elle élimine les barrières et les frontières entre les différents types de représentation. Entre des thèmes et des sujets gargantuesques, il faut percevoir l'Art du détail diabolique, car il est bien connu c'est ici que celui-ci se niche, dans le minime et l'invisible.
Pour comprendre le Monde, le tout, la façon dont la perception agit, il faut s'attaquer patiemment aux parties.
Françoise Huguier fait partie des observateurs talentueux et déjà sage.
Charlotte Courtois