© Dorothea Lange, 1936
Née à Hoboken (New Jersey) en 1895, elle descend de la seconde génération d’immigrants allemands aux États-Unis. Abandonnée par son père à l'âge de 12 ans, elle reniera par la suite son patronyme (Nutzhorn). Elle contracte la poliomyélite à 7 ans, ce qui la rendra boiteuse . A 18 ans, elle décide de devenir photographe, alors qu'elle n'a jamais touché un appareil photo de sa vie, sa volonté première étant de photographier les gens modestes de son entourage. Elle étudie cet art à la Columbia University de New York, puis enchaîne les petits boulots de studios en studios.
En 1918, elle ouvre son propre studio de portrait à San Francisco. Lors de la Grande Dépression, marquée par la première crise boursière et le fameux jeudi noir (1929), elle quitte ce cadre confortable pour sillonner les routes au volant de sa Ford. Cherchant à capter l'humanité derrière la misère, ses témoignages visuels font figure de précurseurs en matière de photojournalisme.
Son voyage commence au sud-ouest des Etats-Unis, sur les traces des Indiens, de moins en moins nombreux.
De 1935 à 1939, elle travaille pour la « Resettlement Administration » (l’Office de la Réinstallation) rebaptisée « Farm Security Administration » qui a pour but de venir en aide aux fermiers pendant ces années amères (bitter years). Elle observe les conditions de vie des migrants, prenant des notes et des photographies. Celles-ci dénoncent les injustices dont sont victimes les populations agricoles, et seront utilisées par le gouvernement de Franklin Roosevelt pour sensibiliser les Américain dans le cadre de son « New Deal ». Les photos de Dorothea appartiennent à l'Etat et seront diffusées par des journaux, mais elle démissionne en 1943 en raison de désaccords idéologiques. D'autres photographes, comme Walker Evans, participèrent à cette mission qui récolta quelques 27 000 documents.
Migrant Mother (1936) est le portrait d'une femme entourée de ses enfants, dans un campement de ramasseurs de petit pois à Nipomo en Californie. Florence Owens Thomson, rencontrée au hasard de la route, a le front ridé, mais le regard décidé, tandis que ses enfants tournent le dos à l'appareil. Les cheveux en bataille, portant des vêtements troués, ces enfants migrants émeuvent. Ce n'est pas seulement la pauvreté qui est révélée ici, mais le courage et la résilience de ces populations venues de loin pour chercher du travail, une meilleure situation et qui ne trouve qu'un pays davantage marqué par le déclin et la désillusion que par l'American Dream. Cette photographie, une des plus célèbres de l'artiste, sera publiée en mars 1936 par le San Francisco News avant d'être reprise par de nombreux journaux.
Une autre de ses photographies de migrants, à nouveau une mère avec deux enfants, illustrera la version moderne des Raisins de la colère (1939), de John Steinbeck (aux Editions Gallimard). Dans ce roman, qui se déroule pendant la Grande Dépression, une famille pauvre d'Oklahoma fuit la sécheresse et la pauvreté, faisant route vers la Californie.
En 1942, elle sera engagée pour photographier les camp d'internement des personnes d'origine japonaise après l'attaque de Pearl Harbor (7 décembre 1941). Résultant d'une commande du gouvernement, qui souhaitait montrer que les japonais étaient « bien traités », ce reportage sera censuré par Rooselvelt car il dresse un portrait accablant des conditions de vie des internés. Il aura fallut attendre 64 ans pour que ces images refassent surface, dans un livre consacré exclusivement au sujet, Dorothea Lange and the censored images of Japanese American internment (Éditions Gordon and Gary Y. Okihiro, 2006).
Elle utilise son appareil « comme une machine à tuer les indifférences », et reprend le travail en 1951, après 6 ans d'inactivité à cause de sa maladie. Dans les années 1954-1955, elle multiplie les reportages, sur les Mormons, sur la vie rurale irlandaise, ou encore sur le système judiciaire en Californie.
Au début des années 60, elle ira en Asie orientale et en Amérique du Sud, mais aussi au Moyen-Orient (1962).
Elle meurt d'un cancer de l'oesophage à San Francisco le 11 octobre 1965. Alors âgée de 70 ans, la téméraire et empathique Dorothea Lange laisse derrière elle une œuvre poignante, généreuse et engagée qui continue d'inspirer la photographie documentaire contemporaine.
Adèle Binaisse