Lee Miller © Man ray - Portrait par solarisation
Lee Miller naît à l'aube du vingtième siècle, en 1907, à Poughkeepsie (État de New York). Enfant, elle est photographiée nue par son père, Théo, ingénieur et photographe amateur, avec qui elle entretient une relation compliquée (voir Lee Miller ou la Traversée du miroir, 2012, documentaire de Sylvain Roumette).
Très tôt attirée par la photo, elle fréquente les Beaux-Arts de Paris et de New-York. Elle est aussi modèle pour Vogue, derrière les objectifs d'Edward Steichen et de George Hoyningen-Huene, entre autres.
A l'âge de 22 ans, elle s'installe à Paris et rencontre Man Ray. Ensemble, ils développent le principe de la solarisation, qui consiste en une exposition brève du négatif lors du développement, provoquant une inversion des valeurs d'ombre et de lumière. Elle s'établit à son compte en 1930 mais rejoint son frère Éric à New York un an plus tard, avec qui elle crée un studio.
Dans le tout premier film de Jean Cocteau, Le sang d'un poète (1931), elle incarne une statue qui se réveille après « un sommeil séculaire», mais aussi une bouche dans la main du poète et le destin qui joue aux cartes.
Mariée à Aziz Eloui Bey, elle s'installe au Caire entre 1934 et 1937 où elle poursuit son activité photographique. Portrait of space (1937) a été prise à l'oasis de Siwa à travers un trou dans le tissu de la moustiquaire d'une cabane. Cette ouverture qui devient une fenêtre triangulaire sur l'immensité désertique dénote le talent artistique de Lee Miller. A cette période, se démarquant de la photo « commerciale », elle donne à son travail une impulsion poétique, entre deux mondes. Modèle, femme adulée, scrutée par des artistes tels que Picasso ou Man Ray qui sont ébahis par sa grande beauté ; elle est aussi artiste et photographe, regardant et transformant le monde par sa sensibilité et son inventivité.
A Paris, elle fera la rencontre de l'anglais Roland Penrose, un peintre surréaliste avec qui elle se marie en 1947. L'insatiable Lee part en reportage suivre l'armée américaine pour Brogue (l'édition britannique de Vogue) pendant la Seconde Guerre Mondiale. Elle photographie la libération des camps de concentration de Dachau et Buchenwald, réveillant les consciences car ces images figurent parmi les premiers témoignages de l'horreur du génocide. Une photographie célèbre de ces années, prise par son amant David Sherman (photographe pour Life) illustre sa personnalité audacieuse : son portrait dans la baignoire d'Hitler, à Munich, en 1945. Une façon, dira-t-on, de « laver » symboliquement les atrocités du régime nazi. Sherman dira d'elle qu'elle « préférait être un GI qu'un photographe de mode » et « repérait ce qui était contradictoire, l'instant incongru et existentiel. » Après la guerre, elle continue sa collaboration avec Vogue, et s'installe avec son mari en Angleterre, à la Farley Farm (Sussex).
Pendant cette période en apparence plus calme, marquée en tout cas par une stabilité géographique et sentimentale, elle illustre les biographies de Picasso, Man Ray et Tàpies, écrites par son mari. Les visiteurs sont nombreux dans sa maison anglaise, qui donne naissance à une communauté singulière et insouciante qu'elle immortalisera dans sa création Working Guests, des photographies sur le vif de son mari et de ses amis dans la simplicité du quotidien, des tâches ménagères au jardinage.
Les « Archives Lee Miller », en Angleterre, ont été crées par son fils après sa mort (en 1977), et à la découverte de 60 000 négatifs dans le grenier de leur maison. 150 de ces œuvres furent exposées à la Galerie nationale du Jeu de Paume à Paris du 21 octobre 2008 au 4 janvier 2009, donnant à voir ce parcours impétueux, entre l'Afrique et l'Europe, entre photographie de mode et surréalisme. Celui d'une femme photographe ayant donné à sa vie un tour poétique, intrépide et esthétique, et pour qui la liberté était l'élément clé : « je sais que si je pouvais tout recommencer, je serais encore plus libre dans ma tête, dans mon corps et dans mes sentiments. »
Adèle Binaisse