Hugo Jaeger © Time & Life Pictures/Getty Images
Que dire de ses photographies d'archives prises par un homme au service d'un régime totalitaire et raciste, coupable de dizaines de millions de morts ?
Les archives photographiques que l'on peut retrouver surhttp://life.time.com/"ont été prises depuis l'ascension d'Hitler jusqu'à sa chute. Photographe officiel du Führer entre 1936 et 1945, Hugo Jaeger utilise le 35mm Kodachrome, une pellicule apparue en 1936 qui n'est plus fabriquée depuis 2009. Celle-ci est caractérisée par un fort contraste et un rouge dominant. Étonnamment, cette couleur est l'emblème du régime nazi. Fait rare, il utilisait cette technique tout le temps, non seulement pour les portraits officiels, mais aussi pour les spectacles de propagande. Il enterre ses photos à la fin de la guerre dans les faubourgs de Munich, puis les récupère des années plus tard et les propose à la vente en 1965. Le magazine Life les lui achète, et les publie alors avec la mention : « Nous ne donnons habituellement pas autant de place au travail d'un homme que nous admirons si peu »
Le ton est posé. Ce travail vaut comme un témoignage, celui d'une époque que nous ne pouvons effacer car constitutive de la mémoire de l'Europe, de notre Histoire. Elles peuvent nous déranger car elles interrogent les valeurs de l'Art : ici, l'esthétique supplante la morale. Malgré l'indéniable massacre qu'illustrent ces photographies, la technique utilisée est novatrice pour l'époque. Ces images d'une foule agglutinée autour d'un homme, ces bras tendus en l'air en signe de ralliement au Führer, ces sportifs torses-nus projetant leurs ombres sur la pelouse, ces milices alignées de manière parfaite, ou encore ce rouge omniprésent : tout cela a une valeur esthétique difficilement réfutable.
Hugo Jaeger © Time & Life Pictures/Getty Images
L'horreur photogénique, il l'a aussi immortalisée avec ses séries de portraits au ghetto de Kutno en Autriche, où il photographie des hommes et des femmes tout sourire, pourtant voués à un funeste destin. Ces photographies refont surface dans Life à l’occasion du 72ème anniversaire du camp de Varsovie.
Les images d'Hugo Jaeger nous plongent par ailleurs dans l'intimité du chef nazi. On le retrouve à un repas en compagnie d'amis, ou encore entouré de ses fidèles pour la fête de Noël du parti. Elles parlent du mystère d'une époque, peut-être même en l'intensifiant. La séduction de ces images de propagande vient aussi de cette incapacité à comprendre comment cela a pu exister.
Adèle Binaisse