© Steeve Iuncker / Agence VU'
Steeve Iuncker, photographe membre de l'Agence VU', vient de recevoir le Prix Nicolas Bouvier 2012 décerné par le Club suisse de la presse de Genève, pour son livre "A JEUDI 15h".
En 1996, Steeve Iuncker, photographe membre de l’Agence VU’, rencontre Xavier ; malade du sida, ce jeune homme se sait condamné. Pendant deux ans, et jusqu’à sa dernière heure, avec son consentement et bien vite sa complicité, Steeve photographie Xavier ; tous les jeudis, à la même heure fixe, à quinze heures.
Le «travail» de Steeve s’est achevé un jeudi de 1998, le jour du décès de Xavier, après 95 jeudis.
4 ans plus tard, ces portraits croisés entre le photographe et son «modèle», sélectionnés au fil des semaines par Xavier lui-même, font l’objet d’un ouvrage qui vient de paraître aux Editions Le Bec en l’Air, A jeudi 15h.
«Xavier a activement participé à ce travail ; nous nous photographions l’un l’autre au format 6x6, en noir et blanc et en couleurs. Chaque semaine, il sélectionnait ses portraits préférés de la semaine précédente, en expliquant son choix en quelques mots, repris dans le livre.
Je souhaitais saisir l’évolution de son regard photographique au fil du temps et de nos rendez-vous. Qu’est ce qui allait changer au fil du temps dans les yeux de cet homme qui allait mourir ? C’est pour ça que je lui avais demandé de me photographier. Son regard m’intéressait. Y compris son regard sur moi.
Au fil de nos 95 rencontres, j’ai cherché à saisir l’instant où la vie quitte le corps. Mon objectif n’était pas de travailler sur la maladie. C’est peut-être choquant, mais moi ce que je voulais, c’était voir mourir quelqu’un. Enfin, plus exactement, je voulais voir la mort s’emparer de quelqu’un. Ce n’est pas la souffrance ou la décrépitude du corps qui me faisait fantasmer, mais bien le moment où la vie quitterait cet homme. C’est pour ça que je voulais photographier Xavier jusqu’à la fin.
Je crois que, au début, pour Xavier, nos rendez-vous photographiques étaient une occupation, une distraction. Il était curieux de découvrir qui j’étais, ce qui me motivait.
C’était un homme seul. Il avait peu d’amis, peu de visites. Moi, je venais le voir tous les jeudis. Je suis devenu une présence régulière. Il savait que je viendrais jusqu’au bout. Je pense que ça le rassurait.
Il m’est arrivé de vouloir arrêter. A Xavier aussi. Par moments, ce travail me déprimait.
A une période, Xavier dormait tout le temps. Je lui posais des questions, il ne répondait pas. Il était absent, il somnolait. Et puis, une fois par semaine, quatre fois par mois, ça fait beaucoup d’images. Un visage change peu pendant ce temps. En même temps, ça t’oblige à chercher autre chose. Un jour, je lui ai demandé de se déshabiller. Pour casser la routine, pour provoquer une nouvelle gêne j’ai décidé de le photographier nu.
Steeve Iuncker
© Steeve Iuncker / Agence VU'
Steeve Iuncker
Né en 1969 en Suisse, Steeve Iuncker vit et travaille à Genève.
Portraitiste de formation (École de photographie de Vevey), il se qualifie lui-même de « photo-reporter localier ». Il est l’auteur des photographies du livre Levées de corps (Labor et Fides, 2008) et a notamment participé aux ouvrages collectifs Amour et désir (Assouline), Faire Faces, le nouveau portrait photographique (Actes Sud, 2006), Photopoche Agence VU’ (Actes Sud, 2006) et 80+80 photo-graphisme, à l’occasion des 20 ans de l’Agence VU’ (2006). En 2000, Steeve Iuncker reçoit le prix « The Selection VFG/Das Magazin » pour Xavier et en 2006 pour Gaza Boom’s. En 2004, son travail Xavier est exposé à la Galerie Coalmine-Fotogalerie à Winterthur, au Musée de l’Elysée à Lausanne, à la FotoGaleria à Buenos Aires ainsi qu’à la Fondation Culturgest à Lisbonne. A l’occasion du Festival Visa pour l’image, à Perpignan, le travail Picture Pope est projeté, en 2004, et Gaza boom’s, en 2005. En 2007, la galerie Evergreen à Genève expose Esthetic is beautiful. En 2009, Xavier, Alianov et Esthetic is beautiful ont été exposés au Centre Régional d’Art Contemporain du Languedoc-Roussillon, à Sète.
Steeve Iuncker questionne la mort, la guerre, les tabous liés au corps et au sexe, posant un regard critique, parfois amusé, sur l’homme et s’interdisant les images purement choquantes.
Qu’il accompagne un malade du Sida en phase terminale, mette en forme la vie professionnelle d’une prostituée âgée, qu’il aille se confronter à la situation de crise à Gaza, accumule les images de célébrités parées de diamants au Festival de Cannes, explore les coulisses des défilés de mode, suive la police lors des constats faisant suite aux crimes ou révèle l’univers hallucinant de la chirurgie esthétique, Steeve Iuncker ne chasse pas les icônes. Il montre. De façon réaliste, libre et salutaire. Même si cela peut sembler provocateur ou choquant. Il nous demande seulement d’accepter de voir. D’être responsables et lucides. De façon tout aussi inlassable, radicale, politique au vrai sens du terme, il interroge les fonctions de la photographie et de l’image dans le domaine de l’information et du documentaire.
© Steeve Iuncker / Agence VU'
Le Prix
A l'occasion de son 15e anniversaire, le Club Suisse de la Presse a décerné le 5e Prix Nicolas Bouvier à Steeve Iuncker pour la qualité de son ouverture et de son attention au monde. Ce Prix récompense les meilleures contributions journalistiques sur les Nations Unies, les droits de l'homme, l'humanitaire, les réfugiés, les migrations, la santé, le travail et le commerce international.
« Steeve et Xavier, dans le silence de ce qui nous en reste, ce fut, à l’évidence, une rencontre, une confrontation, un face à face, un projet avec et contre le temps. Une façon, alors que cela n’était pas prévu, de redéfinir le portrait. Une proposition de portrait, de modalité du portrait, différente, juste brutale et évidente. »
Christian Caujolle