© Antanas Sutkus, Mother's hands, 1966
La galerie RTR, en collaboration avec la galerie Agathe Gaillard, présente une exposition « Amours Libres » de Jean-Philippe Charbonnier et d’Antanas Sutkus. 45 tirages, pour la plupart vintages, de deux maîtres de la photographie humaniste.
Le photographe est un amant, un frère, un ami. Il est empli d'amour pour l'autre, et l'image est à la fois un média et un message qu'il adresse à ceux qu'il photographie. C'est en tout cas ce que Charbonnier et Sutkus défendent en même temps, à quelques milliers de kilomètres l'un de l'autre, et dans des contextes bien différents.
Jean-Philippe Charbonnier sévit pendant les Trente glorieuses aux côtés de Cartier-Bresson, Doisneau, Boubat, Ronis, à un moment où la société française se transforme en profondeur, s'enrichit, et où l'on voit petit à petit un monde disparaître, celui des paysans traditionnels, des 'petites gens' d'avant-guerre, et émerger de nouveaux citadins, éduqués, bourgeois ou élite en quête de plaisir et d'amusement, de légèreté. Le photographe capture de petits instants, avec un regard souvent ironique, parfois tendre, posé sur ses pairs, riches ou pauvres, célèbres ou anonymes.
© Jean Philippe Charbonnier, Comme au Moyen Age
Ce n'est pas un exercice, il s'engage totalement dans sa photo, évitant soigneusement le jugement de valeur, se plaçant au-delà des conventions, des jeux sociaux : « On fait de bonnes photos au bout de plusieurs voyages, après avoir évacué l’exotisme, le folklorisme, le coté « photo de tourniquet ». Ses photos ne cherchent que l'essentiel de l'humain, relèguent l'existentiel à l'arrière-plan. Comme on parle d'éternel féminin, il recherche un éternel humain : « I think we met before » (nom de la première exposition à la galerie Agathe Gaillard de Jean-Philippe Charbonnier en 1974)
© Jean Philippe Charbonnier, L'enfant flou, 1947
Au même moment, Sutkus cherche l'essence de l'humain dans un pays englouti dans le soviétisme (les Lituaniens appellent cette époque l'Occupation). Son regard, ses photos ne sont que chaleur et tendresse pour ses contemporains, parfois teintées d'humour, arme ultime contre le totalitarisme.
Le propos n'est pourtant pas de dénoncer le régime, qui d'ailleurs n'est que rarement figuré sur les images, mais simplement de rappeler l'importance de l'humanité, au sens de la qualité, du trait de caractère. Voyez ces portraits de Sartre au début des années 60, visitant une plage lituanienne, son imper mastic gonflé par un vent qu'on devine mauvais ; il a été invité par les autorités de ce 'pays frère' qui ont organisé cette petite escapade symbolique au bord de la Baltique, et c'est Antanas Sutkus qui a été choisi pour immortaliser ce périple politique.
© Antanas Sutkus, Pilot, 1972
Résultat : le portrait d'un homme seul errant dans les dunes et dans les bourrasques (la mer n'apparaît pas), un peu désemparé, bien éloigné de son statut de philosophe existentialiste.
Charbonnier, lorsqu'il est confronté à la célébrité, réfute lui aussi la nécessité de respecter une image publique, un archétype, pour au contraire partir en quête de ce qu'on appellerait aujourd'hui la personne intime.
Ainsi réalise-t-il un portrait désarmant de Piaf, très éloigné de l'iconographie officielle, ainsi Bettina est-elle enfin mise à bas de son piédestal de top-model pour n'être plus qu'elle-même, et on la sent heureuse de cette pause/pose éphémère.
« C’est la photographie qui prend le photographe », dit Charbonnier. Sutkus a la même conviction : « la photo se prend toute seule, je ne suis que l'instrument ». Antanas Sutkus et Jean-Philippe Charbonnier définissent la photo comme un lien entre les individus, un support à l'empathie et à l'amour de l'autre, condition essentielle pour gagner sa liberté, que ce soit dans un monde qui se transforme ou dans un système politique figé.
"Vous me demandez pourquoi je suis devenu photographe? C'est comme si vous me demandiez : Pourquoi ai-je aimé? Pourquoi ai-je vécu?", Antanas Sutkus, 2012
Vignette : © Antanas Sutkus, Mother's hands, 1966