© Rémy Weité
Tous les itinéraires ont, semble-t-il, été tracés, et vécus. Le monde entier exploré. Mais le voyage demeure un puissant ressort créatif, même, et peut-être surtout, lorsqu'il commence au coin de la rue. Voire chez soi, dans l'espace intime et sécurisant de la chambre, avec des micro-évènements comme cette clarté qui perce doucement à travers les volets ou les rideaux, un après-midi de sieste, de lâcher-prise physique et mental. Un rayon apparemment insignifiant qui tombe sur le sol, une vibration lumineuse sur un mur, et se forme l'image fragile d'un monde flottant. Cette chambre où l'on vit, dort, parfois dans un doux entre-deux, devient alors, telle une camera obscura, la matrice de nos images mentales.
© Yannick Vigouroux. Lisbonne, sept. 98, série "Littoralités"
Les images intimistes et délicates de Rémy Weité, de petit format, nous convient à un tel voyage introspectif. Très « marqué par la lumière et les ambiances intérieures qui émanent des peintures de Vermeer ou d’Edward Hopper », le photographe « tente de restituer dans un même élan des perceptions qui s’impriment en lui. L’instant décisif est d’abord à rechercher du côté de la temporalité propre du photographe, celle où naît une émotion furtive qu’il s’agit pour lui de suivre, avant de la donner en partage ». Les vues de fenêtres, qu'il s'agisse de celles de sa chambre, ou de celles des trains pendant le trajet quotidien qui le conduit au bureau, sont récurrentes. Ces pièces sont baignées d'une lumière sécurisante, douce comme celles des peintres qu'il admire.
Pendant son voyage autour du monde, Karine Maussière a systématiquement photographié les chambres où elle résidait avec son photophone Sony Ericsson, des espaces aussi intimistes que ceux de Rémy Weité. Les images, accompagnées de notes de voyage, sont imprimées en très petit format et sont d'autant plus émouvantes qu'elles évoquent une intimité transitoire ; l'artiste est bel et bien « chez elle », elle s'approprie ces lieux avec son minuscule appareil, mais cela n'est que provisoire...
Les faux panoramiques d'Eric Bouttier nous convient quant à eux à un voyage sensible dans le temps paradoxal de la mémoire affective. Leur format évoque fortement celui du cinémascope. Cette série évoque aussi beaucoup le « cinéma fixe » si cher à Bernard Plossu. Des images légèrement tremblées, obtenues grâce à un appareil-jouet, en plastique, de format 24x36 cm. Eric aborde avec beaucoup de douceur et de sensibilité la fin de l'enfance. Une enfance remémorée, celle d'une lente déambulation dans les lieux où il a grandi en Bretagne.
Pierryl Peytavi utilise entre autres un Brownie flash 6x6 cm, l''objectif de cette toy-camera est de médiocre qualité. L'une de ses photos majeures, selon moi, a été prise à Naples, d'une fenêtre de bus. La scène semble fondue dans un flou aussi atmosphérique qu'optique. Avec, en arrière-plan, les rondeurs faussement rassurantes et sensuelles du Vésuve.
Le cadre de la fenêtre n'est toutefois pas visible, pas de trace de saleté ou de buée évidente en tout, révélatrice d'emblée. Alors, pourquoi cet « effet », ou plutôt ce sentiment de « fenêtre » ? je ne l'ai compris qu'après coup : il y a bien sûr le léger flou, et comme dans mes photos prises à la box 6x9, le film à l'intérieur de l'appareil n'était pas parfaitement tendu, bien plaqué et par conséquent a gondolé légèrement. Bien que délimité par des lisérés noirs encadrants mais irréguliers. Par ailleurs, la poussière sur la fenêtre sale génère, tel un calque, crée un écran qui diffuse la lumière. Comme si Pierryl avait visé à travers un bloc de verre mal taillée aux contours approximatifs. Et en effet, il n'y a rien, au sens propre et figuré de net, de sec, ou de tranchant dans cette image. Mais une douce et rassurante dissolution des apparences... et des dogmes visuels. Pierryl explore les limites de l'image, sans cesse, ses marges. C'est lune des grandes forces de son travail.
Les différents photographes possèdent bien sûr leurs univers propres, leur singularité, et en même temps leurs images entretiennent entre elles de fortes affinités, des tonalités sensibles et souvent proches. Leurs photos proposent « des voyages dans les images » ou des « images voyageuses » qui consciemment ou non – il faut savoir que nombre de ces photographes se connaissent dans la vie et sont parfois amis – se font échos. Elles tissent entre elles des liens sensibles, visibles ou moins visibles. Voilà ce qui à présidé à mon choix, bien plus comme artiste invitant que commissaire (terme que je n'aime guère), et critique photographique, ce que je revendique plus.
© Eric Bouttier. Les yeux de Léo, les temps calmes, 2010
texte : Yannick Vigouroux, janvier 2012.
Vignette : © Rémy Weité