A l'abri derrière la place de Clichy, Le Bal s'attache depuis son ouverture à décrire les pratiques liées à l'image documentaire. L'exposition qui s'y tient actuellement jusqu'au huit avril se penche sur un objet bien précis ; les livres de photographie sud-américains, édités et publiés sur le continent par des photographes locaux. 40 d'entre eux, réalisés entre 1921 et 2012, ont été sélectionnés pour figurer dans l'exposition selon des critères de qualité des images, de la séquence, de l'impression, de la reliure...
Choisir un corpus aussi précisément délimité c'était s'exposer au risque de l'hermétisme : d'une exposition un peu geek destinée avant tout aux amateurs, de plus en plus nombreux c'est vrai, de livres photographiques rares. Ecueil évité avec succès ; notamment parce que la scénographie de Jasmin Oezcebi magnifie les contenus visuels des livres concernés en les éclatant sur les deux niveaux du Bal, dans des mosaïques et des accrochages superbes évoquant parfois des séquences cinématographiques.
On prend immédiatement conscience alors de la force des formes graphiques produites sur le continent au long du XXème siècle : d'abord parce que des photographies comme celles de Claudia Andujar sur la tribu Yamomami, images documentaires, ont une intensité visuelle immédiate. Mais également parce que se déploie dans l'exposition la virtuosité d'éditeurs sud-américains, de choix graphiques audacieux et visionnaires, d'un attachement à faire dialoguer singularité du propos et efficacité créative de sa mise en scène dans le livre.
L'exposition traverse des époques variées du continent sud-américain ; depuis un certain "optimisme" au début du siècle, en passant par les heures de la dictature, jusqu'à un renouveau des photographies vernaculaire, urbaine et documentaire telle que la porte Alessandra Sanguinetti. Des oeuvres comme Sistema Nervioso de Barbara Brandli, El rectangulo en la Mano de Sergio Larrain et Asfalto Infierno de Adriano González Leon donnent à voir, toujours avec le même attachement aux détails du graphisme, la diversité formelle et thématique de ces différentes phases toujours teintées de «caresse, de la plainte, de l'appel, de la complicité, de l'amère dénonciation» (Julio Cortazar), et affleure la question de la censure, d'objets rares souvent clandestins ou cachés...
A ce sujet, on sait que l'exposition, dont l'idée est partie du premier forum latino-américain sur la photographie, en 2007, a demandé quatre ans de travail sous la houlette du commissaire Horacio Fernandez. Des recherches fastidieuses et homériques, sur 19 pays, qui demandèrent à la fois d'établir une relecture historique de l'histoire du livre de photo sur le continent et de trouver physiquement les livres, souvent bien à l'abri dans des collections privées... Ainsi, seuls quatre exemplaires d'El rectangulo en la Mano de Sergio Larrain sont aujourd'hui répertoriés dans le monde, après que son auteur ait abandonné la photographie pour se consacrer à la méditation dans les Andes. Les organisateurs ont ainsi du suivre un parcours labyrinthique entre photographes, éditeurs, graphistes, collectionneurs pour mettre la main sur les livres, ce qui fait aussi le sel de cette exposition et sur lequel on veut insister aujourd'hui : les équipes de l'exposition, attachées avant tout à l'intérêt des contenus, ne l'évoquent qu'en creux et en annexe, comme un lointain récit sud-américain. On veut ici saluer les efforts du petit groupe d'explorateurs composé de Marcelo Brodsky, Iata Cannabrava, Horacio Fernandez, Lesley A. Martin, Martin Parr et Ramon Reverte, qui décida en 2007 de combler le manque d'une cartographie des livres de photographie publiés au XXème siècle sur le continent et se lança à la reconquête de ses bibliothèques pour la mettre au jour. On en ressort à travers la librairie du Bal, le Bal Books, désormais un haut lieu de l'édition de photographie contemporaine, qui établit parfaitement le lien avec la vitalité actuelle de ce champ créatif.
Antoine Soubrier, le 24 janvier 2012.
« LE LIVRE DE PHOTOGRAPHIES LATINO-AMÉRICAIN: LE SECRET LE MIEUX GARDÉ DE L’HISTOIRE DE LA PHOTOGRAPHIE » Martin Parr
L’idée de chercher et de présenter les meilleurs livres de photographie d’Amérique latine est née lors du premier forum latino-américain sur la photographie à São Paulo en 2007. A cette occasion, nous avons pu constater le manque crucial d’une cartographie des livres publiés au 20ème siècle sur le continent. Une investigation rigoureuse devait compenser ce silence par un sauvetage systématique des œuvres d’une valeur incontestable, résultat d’une alchimie complexe entre de nombreux ingrédients : qualité des images, de la séquence, du texte, de la mise en page, de la reliure, de l’impression etc… La recherche portait exclusivement sur des livres de photographies édités en Amérique Latine par des auteurs latino-américains impliqués dans la réalisation de leur ouvrage. En trois ans, dans 19 pays de Cuba à la Patagonie, nous avons interrogé photographes, graphistes, collectionneurs, chercheurs, éditeurs, et passé au crible leurs bibliothèques et leurs archives.
Courir après l’inconnu à l’échelle d’un continent a converti cette investigation en une quête à la fois vertigineuse et galvanisante. Le résultat est surprenant. Se sont fait jour des livres percutants, complexes, troublants, souvent oubliés, maudits ou secrets. Au fil des pages, se déploie « quelque chose qui participe de la caresse, de la plainte, de l’appel, de la complicité, de l’amère dénonciation » (Julio Cortazar). Au final, cette étude critique révèle la remarquable contribution de l’Amérique latine à l’histoire mondiale du livre de photographie.
Horacio Fernandez, Commissaire. Horacio Fernandez est historien, commissaire d’exposition et enseignant à l’Université des Arts Appliqués de Cuenca à Madrid, où il réside. Il a notamment été commissaire de PhotoEspaña, de 2004 à 2006. Il est entre autre l’auteur de Fotografía Pública (1999), publication qui accompagne l’exposition éponyme dont il a été commissaire pour le Museo Reina Sofía (Madrid) et des Livres de photographie d’Amérique Latine (2011), qui enrichit l’exposition itinérante FOTO/GRÁFICA dont la première étape est LE BAL. Il travaille actuellement sur un projet autour des livres de photographie espagnols pour le Museo Reina Sofía et une exposition sur le photographe mexicain Manuel Alvarez Bravo au Palais des Beaux-Arts de México.
Eduardo Terrazas, Sin saber que existías y sin poderte explicar, 1975 - Mexique
Gretta, Auto-photos, 1978 - Mexico
L’exposition FOTO/GRÁFICA présente 40 livres de photographie réalisés entre 1921 et 2012. La scénographie permettra de suivre un parcours composé de livres originaux, de tirages d’époque, de projections, de maquettes et de citations. La sélection est articulée autour de 6 thématiques:
- Histoire et propagande
- Photographie urbaine
- Essais photographiques
- Livres d’artistes
- Littérature et photographie
- Livres contemporains
© Le Bal