© Torbjørn Rødland
Le 5ème numéro de Tell Mum Everything Is Ok commence par un aveu de Frédéric Pierre et Camille Françoise (les initiales de FP & CF); après cinq numéros, des circuits et des habitudes se sont créées. Difficile aujourd'hui de se tenir à la règle des débuts ; travailler sur la base de libre propositions.
La petite revue connait effectivement le succès ; après un appel à candidatures sur Flickr qui réunit près de 2000 photos, le premier numéro (septembre 2009) est tiré à 150 exemplaires, et se retrouve épuisé en 5 jours. Le cinquième et dernier numéro, sur le thème Stigmate, est aujourd'hui tiré à 1000 exemplaires.
On comprend facilement pourquoi. Dans la masse énorme de petites publications, entre l'auto-édition et les tirages limités, qui voient le jour (et dont le salon Offprint Paris offrait récemment un aperçu), Tell Mum Everything is ok marque par sa minutie, la construction d'une séquence sans direction imposée, qui donne une place à chaque image. La sélection, basée sur les recherches des éditeurs et les contributions au groupe Flickr, est d'ailleurs un bel exemple de la façon dont web et papier peuvent collaborer, la parution venant consacrer les images choisies sur un papier recyclé 140g, épais, doux et irrégulier, qui donne à l'ensemble des allures de bloc-notes rempli par d'autres avant nous.
Jamais trop grandes pour l'oeil, parfaitement dosées dans leur intensité, les images, sans connexion de principe et issues de photographes du monde entier (de Roger Ballen à Alec Soth, Christian Patterson, à Maciek Pozoga et le duo Taiyo Onorato et Nico Krebs, que nous avions interviewés pour Actuphoto, en passant par des découvertes personnelles comme Torbjørn Rødland), composent un ensemble délicat. Le défi du recueil composite, la construction d'un équilibre au sein duquel aucune image ne disparait ni n'étouffe les autres, est relevé ; parce que chacune d'entre elle fait une nouvelle proposition et recrée l'étonnement. En couleur ou en noir et blanc, on plonge dans des natures mortes (Peter Halupka), des enfants tenus en laisse ou bariolés (Clare Strand, Torbjørn Rødland) , des pédalos, silencieux la nuit (Klara Kallström), des glaces qui fondent....
C'est un lieu commun que de constater l'intérêt de la photographie contemporaine pour l'infra-ordinaire, l'insignifiant, les formes détachées et peu impliquantes. Ce numéro de Tell Mum, en puisant dans les formes les plus contemporaines, y souscrit. Mais le supplément d'âme de la sélection, la finesse des choix de mise en page, finit de confirmer une impression ; à la différence de travaux qui, en quête des sous-couches de la réalité, glorifient le banal pour lui-même, ce numéro de Tell Mum propose ce que la photographie contemporaine promet de meilleur ; l'exploration d'un espace physique imaginaire et omniprésent. Ce qui tient, plus que jamais, à l'oeil des éditeurs, s'arrêtant sur des images toujours balancées entre des réalités isolées et ce qu'elles disent du monde. Tournant les pages, j'ai l'impression de cligner les yeux sur des souvenirs pas forcément vécus, intérieurement dépaysé, interpellé ; où sont ces images ? La vie, soudain, est plus intéressante.
Antoine Soubrier, le 6 décembre 2011.
Pour en savoir plus, sur le site des éditions FP & CF : http://www.editionsfpcf.com/tellmum5/revue
Vignette : © Torbjørn Rødland