« Ma mort partout, ma mort qui rêve » (*) Les photos de Léa Crespidécrivent un parcours en forme de labyrinthe dans un univers composé d’une succession de pièces qui chacune offre le spectacle de l’abandon et du délabrement. Ce qui est donné à voir, c’est le personnage que compose Léa Crespi qui traverse nu des lieux qui n’appartiennent plus qu’a l’usure du temps. Dans chaque pièce, l’activité humaine s’affiche sur le mode du passé. Son corps habite des espaces dépenaillés, éventrés, dévastés. Sur les murs, des traces d’humidité, des moisissures, des peintures écaillées, des papiers peints lacérés, décollés, des lambeaux, des peaux mortes. Au délitement des parois, Léa Crespi oppose un corps à la peau intact. L’idée du labyrinthe s’impose par la succession des pièces, des ouvertures qui s’offrent, portes, fenêtres et qui symbolisent des choix, un chemin à prendre au risque de se perdre, de faire fausse route. Le doute est inhérent à cette progression à choix multiples, il se distille dans chaque image. Parfois le corps est pris au piège d’une voie sans issue, un angle, un mur qui fait obstacle, un échec, et la nécessité de partir à rebours, il faut continuer... Ce dédale industriel pourrait-être celui de l’ancienne usine Renault de Billancourt. François Bon dans son livre sur l’usine de l’Ile Séguin appréhende d’abord celle-ci comme un labyrinthe qui contient implicitement dans sa complexité le mirage d’une progression. Le corps flou du personnage de Léa Crespi incarne ce mirage. « Dans Billancourt le labyrinthe, on avait toujours l'illusion que marcher plus loin était possible, qu'il y avait là une galerie, une passerelle, une échelle de fer, et au fond là-bas une rambarde ou une porte ». Cependant, le parcours que décrit le personnage ne ressemble en rien à une exploration. Sa démarche n’est pas celle non plus d’une exhumation du lieu. Le personnage ne nous emmène nulle part. L’errance ne correspond pas non plus à celle d’un personnage fantomatique qui hanterait ces lieux désaffectés. Le personnage incarne plutôt une présence flou, détachée, en quête d’une issue. Les positions du corps empruntent au lieu son passé mécaniste et industriel. Mais en opposition à des espaces figés dans le temps, le corps décrit un mouvement particulier. Le corps docile du personnage semble dépossédé de sa propre motricité . Les positions ressemblent à celle d’un mannequin, ou plus exactement à celles d’une créature virtuelle d’un jeu vidéo. Le corps semble guidé à distance. L’expression est celle de la résignation, aucun signe d’épuisement, aucun tourment. L’univers que décrit Léa Crespi, trouve également ses inspirations dans Ulysse de James Joyce et la Divine Comédie de Dante. Stephen Dedalus et Dante sont tous les deux égarés dans un univers qui les enferme, en proie au doute : le labyrinthe des rues de Dublin pour le premier, un forêt obscure pour le second. Au-delà de l’enfermement, la parcours labyrinthique que nous propose Léa Crespi agit comme un révélateur qui renvoie à la quête de soi, de son passé, de ses origines. Un parcours humain qui nous confronte nu au monde. (*) Jean Baudrillard – L’échange symbolique de la mort. François Bon – Antoine Stéphani – « On démolit aujourd’hui Billancourt » - Editions du cercle d’art. Text: David Cousin Marsy