La scène se passe le 26 septembre 2010. Alors que son exposition Miracles & Co est présentée au public dans la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon depuis le 7 juillet, le photographe espagnol Joan Fontcuberta, alors en compagnie d'une journaliste dans son atelier catalan, apprend que la totalité des oeuvres a été volée dans la nuit du 25 au 26. L'info a beau être publiée par El Pais dès le 28 septembre (http://www.elpais.com/articulo/cultura/Fontcuberta/expoliado/Avinon/elpepucul/20100928elpepicul_5/Tes), elle est étouffée en France, où la Chartreuse comme la police demande la plus grande discrétion des médias pour pouvoir mener l'enquête.
L'exposition en question, Miracles & Co, se consacre à un sujet fascinant : l'exploration par Fontcuberta de la communauté religieuse de Valhamönde, en Carélie, au fin-fond de la Finlande. Installée depuis près de mille ans, elle a été le refuge de mythes et de superstitions diverses ainsi que de cultes païens régionaux. De nombreux manipulateurs renommés sont passés par Valhamönde ; Raspoutine et Ron Hubbard, fondateur de l'Eglise de Scientologie, entre autres. Du monde entier, les mystiques accourent depuis des centaines d'années à Valhamönde pour acquérir des pouvoirs surnaturels... Comme l'explique la Chartreuse, en 2002, «Joan Fontcuberta a feint d’être l’élève d’un pope en mesure de payer la ruineuse inscription à Valhamönde et de suivre, aux côtés des autres novices, les cours permettant de pratiquer le cycle de miracles de terre, d’eau, d’air et de feu, tout en prenant des photographies en cachette et en recueillant d’autres preuves afin de démasquer l’imposture.»
Lévitation (© Joan Fontcuberta)
Un sujet propice à déchaîner les imaginations... Bientôt un an après les faits, le mystère demeure quant au motif du cambriolage. Si l'on connait en détail l'exécution du vol (escalade du mur d'enceinte, décrochage des cadres sous verre, ouverture de leur dos, découpage des marie-louise pour finalement enrouler les photos..), plusieurs hypothèses circulent pour expliquer ses motivations : action d'un groupe de catholiques intégristes, acte de nuisance, performance potache, action commanditée par un collectionneur... certains sont même allés jusqu'à accuser Joan Fontcubera lui-même d'avoir organisé ce cambriolage, pour entretenir le doute. Ce dernier estime le montant des dommages à 80 000 euros, alors que l'assureur Axa renvoie la balle à la Chartreuse en arguant du manque de sécurité des lieux. Une affaire qui illustre à nouveau, après le récent cas Piss Christ (http://www.actuphoto.com/18603-entre-art-et-blaspheme-andres-serrano-piss-christ.html), la grande sensibilité de la question religieuse traitée en photographie.
Actuphoto, le 6 juin 2011.