L'Observatoire de l'image réunissait mercredi 16 mars 2011 son dixième colloque, intitulé « Images, le nouvel âge ». Créé il y a onze ans, l'Observatoire de l'Image est un groupement informel des différents acteurs de l'image (agences photographiques, éditeurs de livres, de presse magazine, de cartes postales, documentaristes) représentés par leurs associations professionnelles : la F.N.A.P.P.I., Fédération Nationale des Agences de Presse Photos et Informations, le S.A.P.H.I.R., Syndicat des Agences de Presse Photographiques d’Information et de Reportage, le S.N.A.P.I.G., Syndicat National des Agences Photographiques et d’Illustration Générale, S.N.E., Syndicat National de l’Edition, le S.P.M, Syndicat de la Presse Magazine, et l'U.S.P.A., Union Syndicale de la Production Audiovisuelle. Depuis sa création, l'Observatoire s'est attaché à relever les dérives du droit à l'image des personnes et des biens ou les difficultés d'accès au patrimoine et à l'espace public, avec un double objectif : réveiller les consciences et faire évoluer les pratiques des acteurs du secteur.
Ce dixième colloque traitait de la création et de la diffusion des images, et des nouveaux modèles économiques à trouver. Fred Ritchin, professeur de photographie et d'imagerie à l'université de New York, ancien éditeur photo du New York Times et auteur de l'ouvrage Au-delà de la photographie aux éditions Victoires, ouvrait le débat par un chiffre impressionnant : fin 2010, 60 milliards d'images avaient été publiées par les utilisateurs sur Facebook. D'où la nécessité, pour le journaliste, de proposer de nouveaux filtres dans la diffusion des images. Depuis l'explosion de la photographie amateur et de sa diffusion, et à l'heure du montage Photoshop généralisé, les photographes professionnels ont en effet du mal à justifier du rôle et de la crédibilité de leur images. Le cas des photos prises par des soldats américains dans la prison irakienne d'Abou Ghraïb suffit en effet à illustrer le nouveau pouvoir du cliché amateur. Face à cela, le journaliste se doit d'exploiter les pistes ouvertes par les médias et notamment Internet pour contextualiser, défaire les mises en scène, montrer les à-côté et l'envers du décor d'images officielles aujourd'hui maitrisée de bout en bout.
Un débat entre Alexandre Brachet, fondateur de l'agence Upian (http://www.upian.com/), Philippe Brault, photographe de l'agence VU' et co-réalisateur du webdocumentaire Prison Valley (http://prisonvalley.arte.tv/?lang=fr), Jean-Luc Marty, directeur des projets éditoriaux du groupe Prisma Presse et Virginie Clayssen, directrice du développement numérique d'Editis, était ensuite animé par Béatrice Garrette, présidente de l'Observatoire. Vif et passionné, l'échange a fait ressortir les enjeux actuels du secteur : la nécessité de définir de nouveaux formats de diffusion de l'image qui fassent sens (à l'image du « rendez-vous » créé par le Big Picture du Boston Globe (http://www.boston.com/bigpicture/), qui fournit régulièrement à ses lecteurs un reportage photo d'actualité internationale), en saisissant la dimension de storytelling du média Internet, selon les mots d'Alexandre Brachet. Jean-Luc Marty invoquait également la dimension documentaire du média en évoquant les oeuvres de Robert Kramer et de Georges Rouquier : aux yeux des intervenants, si Internet offre de multiples possibilités de mise en récit de l'image, le défi est bel est bien d'assurer leur pérennité. Le cas de Philippe Brault, auteur d'un webdocumentaire remarqué, illustrait cette ambiguité ; si le projet est une réussite artistique et publique, il s'est fait à perte et a demandé énormément de travail à l'agence Upian et au photographe, ainsi qu'au journaliste David Dufresne, son co-auteur.
La question des modèles économiques est logiquement devenue le cœur du débat ; le freemium des médias en ligne, le support irrégulier des plateformes de crowdfunding (Kickstarter, Emphas.is) aux projets photojournalistiques, la notion de marque-média, la conquête de l'audience et la mise en concurrence de professionnels avec des amateurs via des plateformes comme Flickr (orchestrée par des acteurs majeurs comme Getty) agitent en effet un domaine en pleine mutation, où d'anciens professionnels confirmés peinent aujourd'hui à trouver une rémunération. Des métamorphoses qui peuvent inquiéter (parmi le public, une iconographe freelance témoignait ainsi de la fuite des revenus) mais aussi inspirer : Fred Ritchin choisissait d'ailleurs de voir les intervenants comme des poètes à l'aube d'une nouvelle ère, imaginant des voies possibles vers de meilleurs lendemains...
Antoine Soubrier