Pavillon Populaire de Montpellier Esplanade Charles de Gaulle 34000 Montpellier France
Rétrospective Ralph Eugene Meatyard, l’opticien du Kentucky et New Orleans : Mythes, Ruines et Chaos
- Clarence John LAUGHLIN : L’oeil qui ne dort jamais
- Alex HARRIS : Pèlerinage vers Katrina
Commissaire des expositions : Gilles Mora
Montpellier : une ambition renouvelée en faveur de la photographie
Depuis les années 1980, la France porte à la photographie une attention et un effort soutenus. Il s’agit d’un art majeur, que Montpellier a choisi d’explorer dans toute sa richesse en lui consacrant une place centrale dans sa politique culturelle.
En 25 ans, la photographie a ainsi connu à Montpellier un bel essor. Peu de villes françaises peuvent s’enorgueillir d’un tissu aussi important de photographes, de pratiques amateurs et d’initiatives publiques comme privées, dans cette discipline à la fois pointue et très populaire. Les projets locaux ont toujours été accompagnés par la Ville, qui encourage également l’activité de tout un réseau de galeries et de clubs. Les plus grands noms de la photographie ont été exposés par la municipalité et la collection, constituée au fil du temps, fait aujourd’hui partie de notre patrimoine artistique, témoignage précieux de l’histoire de la photographie contemporaine. Ces actions conjuguées ont permis d’enraciner la photographie en développant à la fois la curiosité culturelle et les connaissances du public.
A Montpellier, la photographie a aussi son écrin. Depuis 2007, la Ville dédie au 8ème art le Pavillon populaire, galerie d’art photographique située en plein coeur de ville, sur l’Esplanade Charles De Gaulle. Réaménagé, aéré, modernisé, cet espace de 600 m2 figure aujourd’hui parmi les lieux photographiques les plus importants d’Europe.
Il a vocation à devenir pour la photographie, l’alter égo de ce qu’est le Musée Fabre aujourd’hui pour la peinture.
Dans une nouvelle dynamique, la programmation du Pavillon populaire s’articulera désormais autour de deux axes forts : le choix de thématiques annuelles explorées à l’occasion de « cartes blanches » par des commissaires indépendants (personnalités ou collectifs) et l’accueil d’expositions d’artistes internationaux. Forte de cette exigence et de cette ambition, la Ville de Montpellier a confié la direction artistique du lieu à Gilles Mora, personnalité majeure de la photographie en France. Sa programmation sera accompagnée d’actions de médiation dédiées à tous les publics. L’accès sera gratuit et ouvert à tous, Montpellier réaffirmant ainsi son engagement à appréhender la culture comme un bien public. Les acquisitions d’oeuvres seront également poursuivies, avec la volonté de participer ainsi à la promotion de la photographie comme objet d’art à part entière. Enrichissant son fonds, la Ville veillera à sa conservation et à son étude, ainsi qu’à sa diffusion et à son partage en lien avec les autres institutions culturelles.
La Ville de Montpellier fait donc preuve d’ambition en faveur de la photographie, s’inscrivant ainsi dans un soutien sans cesse renouvelé aux arts, consciente que, dans une civilisation de l’image, il est nécessaire de permettre à chacun de nos concitoyens de saisir la puissante invitation au regard qu’est l’esthétique du cliché photographique offert par l’artiste.
Evènement phare, l’exposition tripartite Les suds profonds de l’Amérique, conçue par Gilles Mora, proposera la première rétrospective française consacrée à Ralph Eugene Meatyard, visionnaire de génie dont l’oeuvre influença en profondeur la photographie américaine des années 60 et 70. Egalement présentées pour la première fois en France, les oeuvres surréalistes de Clarence John Laughlin, où l’image fantomatique de la femme se dévoile sur les ruines d’un monde en disparition, celui des plantations et des cimetières de la Nouvelle-Orléans dans les années 40 et 50. Dernier volet de cette exploration des « deep souths », le travail documentaire en couleurs d’Alex Harris, réalisé en 2006, sublime quant à lui le chaos hallucinant laissé par l’ouragan Katerina en septembre 2005 dans les quartiers dévastés de la capitale louisianaise.
RALPH EUGENE MEATYARD, L’OPTICIEN DU KENTUCKY
Il faut s’imaginer Lexington, cette petite ville du Kentucky, au coeur des années 1950. Nonchalance du Sud, engourdissement semi-rural, quiétude morale, absence de traits physiques ou culturels saillants. Rien qui, à priori, puisse favoriser l’épanouissement, en ce lieu, d’une carrière photographique sinon, justement, l’obligation d’aller chercher au plus profond de son imagination et de ses aspirations intellectuelles les raisons de créer. Et, si l’on pratique en même temps le métier d’opticien, la curiosité portée à la résolution de problèmes optiques.
Telle est bien la situation en laquelle se trouve Ralph Eugene Meatyard (1925-1972), en ces années-là, occupant ce métier-là, dans cette ville-là. Rien qui le prédestinât à tenir l’une des plus enviables places dans le panthéon de la photographie américaine : celle d’un visionnaire, inclassable, secret, à l’influence souterraine mais déterminante auprès de ceux pour qui la photographie demeure encore une expérience totale, visuelle autant qu’intellectuelle.
En lui, la contemporaine Cindy Shermann reconnaîtra «le seul photographe qui ait eu un rôle majeur dans mes racines artistiques ».
On cherchera en vain, dans l’oeuvre de Meatyard, ce qui relève de l’inutile. Lorsqu’il disparaît prématurément à l’âge de 47 ans, il a exploré deux ou trois des domaines photographiques les plus difficiles : celui de la sensation et de la métaphysique (inspiré par l’esthétique zen), de l’enfance (avec les membres de sa propre famille), et de la mise en scène, comme son prédécesseur, le louisianais Laughlin. L’enfance ? Pour une fois, à mille lieux des mièvreries photographiques conventionnelles et de leur fausse poésie, celle qu’enregistre Meatyard se pare de toutes les ambiguïtés dont seuls Lewis Caroll ou Henry James (qu’on pense au Tour d’écrou…) ont pu dessiner les contours.
À travers les fictions visuelles qu’il crée, jeux ou rituels, cérémonies secrètes, lieux abandonnés ou inquiétants, tensions et stridences, magie et menaces suggèrent un impressionnant univers mental enfantin où l’innocence et la perversité, l’ombre, les lumières et la cruauté dessinent les identités successives de l’enfance.
La dernière partie de l’oeuvre de Meatyard voit croître la prolifération des masques, particulièrement à travers l’invraisemblable fiction la plus saisissante de l’histoire de la photographie, la série de 64 images intitulée « L’album de Famille de Lucybelle Crater ». Meatyard et sa femme, tous les deux masqués, échangeant parfois leurs vêtements, y campent en une saga grotesque un roman familial aux significations étranges et ambigüe.
Cette exposition d’environ 120 tirages originaux constitue enfin la première rétrospective française consacrée à un photographe majeur et mal connu, dont l’oeuvre n’aura au fond d’autre vérité que d’exorciser, comme en chacun d’entre nous, la terreur infantile et quotidienne des masques, lorsqu’il nous advient de percevoir la tragique moment ou la Mort saisit le Vif.
Gilles MORA