On les appelle les Maras. Construits sur le modèle des gangs de Los Angeles, ces groupes de jeunes sèment la terreur dans toute l'Amérique Centrale. Plongée dans les banlieues de San Salvador dans le quotidien des membres d'une armée invisible. Nouveau fléau mondial qui détruit par la violence aveugle les principes démocratiques et condamne à mort une jeunesse privée de tout espoir d'avenir.
Une fin tragique
Mercredi 2 septembre 2009, le réalisateur Christian Poveda est retrouvé mort au Salvador, tué par balles. Âgé de 54 ans, le cinéaste était en train de tourner un autre documentaire dans une banlieue contrôlée par les gangs. La Vida Loca était son premier documentaire a être diffusé en salles.
Le parcours du réalisateur
Le réalisateur Christian Poveda a longtemps vécu à El Salvador. C'est en 1980 qu'il y met les pieds pour la première fois, en tant que photoreporter. Il y couvre l'actualité au quotidien jusqu'au début des années 90. C'est en 1981 qu'il réalise son premier documentaire, ce qui lui permet de se faire de nombreux amis et contacts dans le pays. En 1990, après avoir quitté le photojournalisme il décide de se consacrer entièrement à la réalisation de documentaires. Le cinéaste signe ainsi On ne tue pas que le temps en 1996 et Voyage au bout de la droite en 1998. Dix ans plus tard, il réalise La Vida Loca, son premier long métrage, qui suit le quotidien de jeunes salvadoriens vivant au rythme de l'ultra-violence des gangs.
Le choix du gang
Au Salvador, deux gangs se font la guerre : la 18 et la MS (Mara Salvatrucha). Christian Poveda a exposé sa proposition de documentaire aux deux gangs avec une condition : accepter sa présence durant une année entière. C'est cette close qui a entraîné le refus de la MS, le cinéaste a donc choisi de suivre la 18.
La démarche du cinéaste
Pour s'infiltrer dans la vie des Maras, le réalisateur a pris contact avec des " anciens pandilleros membres des gangs qui travaillent à la réhabilitation de leurs ex-compagnons d'arme. Deux d'entre eux sont des personnages du film ". Une fois sa présence admise au sein du gang, Christian Poveda n'a pas bénéficié de protection spéciale. Il avait seulement l'autorisation de la police pour travailler avec elle dans le secteur, mais aussi et surtout, l'aval des plus hautes instances du gang. Le danger était donc permanent.
Le tournage au quotidien
" Tous les matins, avec David Mengez, mon ingé son, je me présentais à la Campanera, le quartier, et je tournais selon l'emploi du temps de mes personnages. Il m'est arrivé de passer plusieurs jours sans filmer, par contre, notre présence quotidienne nous a permis d'établir une relation de confiance absolument nécessaire. Les tensions entre les deux gangs ennemis sont permanentes. La Mara Salvatrucha et la 18 ont chacune leur langage codé, leur rite et leur tatouage et se haïssent cordialement. Aucun différend idéolique ou religieux n'explique cette lutte à mort dont l'origine, perdue dans les bas-fond des " barrios " hispaniques de Los Angeles, est oubliée de tous. 15 ans après une guerre révolutionnaire qui saccagea le nation, une nouvelle guerre civile, aussi terrible, oppose maintenant les pauvres aux pauvres. "
Les chiffres de la violence
Selon la police, les deux gangs posséderaient 7500 membres en liberté et 7500 autres en prison, sur les 5,8 millions d'habitants que compte le pays. En 2007, le nombre d'homicide était de 3497, ce qui fait une moyenne de 9,6 décès par jour. En 2008, les chiffres ont légérement baissé atteignant 3174 morts. El Salvador a le taux d'homicide le plus élevé d'Amérique latine chez les 15-24 ans avec 92 homicides pour 100 000 habitants. C'est également le deuxième taux le plus élevé au monde. Pendant longtemps, les autorités ont expliqué cette violence par l'existence des gangs. Pourtant, en 2006, sur les 3928 homicides commis, " seulement " 11,8% ont été attribués aux gangs.
Le principe du " cinéma direct "
Christian Poveda avoue que le principe du documentaire n'est pas toujours simple à appliquer. Il faut savoir filmer sans interagir dans le déroulement des évènements. " Malgré cela, il est très difficile de voir mourir des adolescents que l'on a côtoyés et filmés pendant plusieurs mois, et cela quelles que soient leurs activités. Cela laisse des traces... "
Souvenir du tournage
Une anecdote a particulièrement marqué le cinéaste lors du tournage. Il se souvient : " Un dimanche matin, le téléphone m'a réveillé, m'annonçant l'assassinat de La Chucky, 18 ans et enceinte de 6 mois. L'appel signalait que son corps gisait encore dans une des rues de Soyapango. Je suis parti à sa recherche, sans caméra, comme un fou. Pendant plus de deux heures, j'ai fait le tour de la ville et de toutes ses instances, pour finalement la trouver bien vivante en train de faire son marché... J'avais complétement oublié mon film pour me retrouver, un instant, dans la situation d'un père désespéré qui recherche son enfant. "