Musée Malraux du Havre 2, boulevard Clemenceau F-76600 Le Havre France
HISTORIQUE DU PROJET
En 2005, le classement au Patrimoine Mondial de l’Humanité du Havre reconstruit, inaugure, après des décennies d’incompréhension, voire de rejet, une phase nouvelle, faite de curiosité et d’ouverture, dans l’histoire du lien entre la ville et les hommes.
Un tournant décisif est marqué avec la reconnaissance internationale qu’exprime ce classement Unesco.
En 2002, une série de photographies réalisées par Lucien Hervé en 1956 sur le périmètre reconstruit par l’architecte du Havre, Auguste Perret, est redécouverte. La Ville du Havre et le Ministère de la culture et de la communication/Centre National des Arts Plastiques, décident de relancer un projet de commande publique photographique*. Imaginée au départ sur une seule année, l’opération est finalement reconduite et prolongée pour une durée totale de trois ans.
L’exposition, composée d’une centaine de photographies, est organisée en 3 volets :
1 - Les photographies retrouvées de Lucien Hervé, objets de la commande publique de 1956.
2 - Les œuvres de la commande publique* : 5 artistes photographes et 1 artiste vidéaste : Véronique Ellena et Nancy Wilson Pajic en 2007, Manuela Marques et Charles Decorps en 2008, et en 2009 enfin, Pierre Creton (vidéaste) et Xavier Zimmermann.
3 - Les oeuvres qui complètent le propos : 5 artistes photographes et 1 artiste vidéaste: Gabriele Basilico, Matthias Köch, Corinne Mercadier, Vicenzo Castella, Rut Blees Luxembourg, Hervé Robbe (vidéaste).
LE REGARD PORTE SUR LA VILLE A CHANGE
Si l’aspect monumental de son architecture et de son urbanisme fascine, la ville apparaît aussi comme un décor de théâtre où les mises en scène sont savamment étudiées.
Fait nouveau, elle nous dévoile des pans subtils de la vie qu’elle abrite : tels les intérieurs et lieux de passage traversés par la présence humaine, dans des atmosphères tour à tour, étonnantes, feutrées, crépusculaires ou lumineuses…
LES PHOTOGRAPHIES RETROUVEES DE LUCIEN HERVE
Alors que Perret est décédé depuis 2 ans et que la reconstruction du Havre se poursuit, la Direction générale du Tourisme commande en 1956 à Lucien Hervé, « photographe spécialisé dans l’architecture » un reportage sur la ville, destiné à illustrer les premiers supports de promotion touristique.
Si la vision de l’artiste exalte bien la modernité de cette toute nouvelle ville, et sert ainsi très justement le projet des commanditaires, elle n’en est pas moins mal reçue à l’époque. Tombées dans l’oubli puis redécouvertes en 2002, les photographies de Lucien Hervé donnent à voir Le Havre, comme on ne l’avait encore jamais vu : une œuvre architecturale majeure du XXe siècle.
LES ŒUVRES DE LA COMMANDE PUBLIQUE
Commande publique 2007
Nancy Wilson-Pajic (née en 1941, vit et travaille à Paris), est sans doute l’artiste qui a ressenti le plus profondément l’histoire douloureuse de la ville du Havre, touchée par les bombardements meurtriers de septembre 1944. A l’origine de sa série Les Mystères du seuil, qui allie 20 photographies d’entrée d’immeubles Perret et 10 textes, l’artiste se demande quel était le sentiment de ceux qui avaient tout perdu lorsqu’ils franchirent pour la première fois le seuil de ces nouveaux immeubles où ils allaient reconstruire leur vie. Mais le seuil devient ici métaphore. Il est cet entre-deux que chacun traverse, entre deux histoires. La lumière y dessine des formes pures, que Nancy Wilson-Pajic se plait à décliner jusqu’au vertige de l’abstraction
Pleine d’une tendre précaution pour son sujet, Véronique Ellena (née en 1966, vit et travaille à Paris), a passé des heures à chercher la lumière juste pour photographier Le Havre. Elle l’a trouvée au petit matin ou à la tombée de la nuit. La ville se teinte alors de rose, de bleu. L’intimité silencieuse des appartements se projette avec pudeur sur les façades des immeubles : la ville vit, vibre doucement, traversée de personnages, tels ces amoureux s’embrassant sous la haute tour de l’hôtel de ville. La ville affiche une allure de scène de théâtre. A l’issue de la commande du Havre, Véronique Ellena a été admise comme pensionnaire à la Villa Médicis à Rome.
Manuela Marques (née en 1959, vit et travaille à Paris) pénètre à l’intérieur des appartements. Ce qui la frappe le plus souvent c’est ce rapport subtilement pensé entre intimité et extérieur. La circulation du regard est aussi finement calculée que celle des mouvements. Filtré par un rideau, ouvert sur l’extérieur, replié sur l’intérieur des pièces ou ricochant entre les portes d’un couloir, le regard se déplace. Loin d’être un hasard, cette scénographie de l’intime répond à la théâtralité et la monumentalité de la ville.
Charles Decorps (né en 1976 vit et travaille à Nancy) s’est attardé dans l’Appartement témoin. Il semble surprendre des moments d’intimité domestique. Deux femmes, dont on ignore la nature de leurs liens, sont saisies dans l’accomplissement de tâches et de gestes anodins. Mais les mouvements des corps évoquent la pose plutôt que l’instantané, d’où découle l’étrange sentiment que se joue ici quelque chose qui nous échappe. Une mise en scène, un jeu de rôles… ? Il s’agit peut-être tout simplement d’occuper un espace trop vide.
Commande publique 2009
Pierre Creton (né en 1966, vit et travaille en Normandie), vidéaste, investit lui aussi l’Appartement témoin. Ici, L’espace est saturé. Des groupes de visiteurs se pressent dans l’appartement devenu trop étroit. De ce corps polymorphe, mouvant, émergent quelques figures singulières. Deux guides se succèdent pour emmener les groupes. Mais qui sont-ils ? Des guides ou des habitants faisant découvrir leur propre appartement. Le doute s’insinue : le lieu est-il public ou privé ? L’ambiguïté s’installe… Entre fiction et documentaire.
Xavier Zimmermann (né en 1966, vit et travaille à Paris), se tient lui à distance de l’espace intime et affirme sa position de piéton ou d’arpenteur dans la ville. Sa série intitulée CC pour « Champ-Contrechamp » propose une vision troublante de la cité en associant dans un même plan deux images opposées par le subterfuge d’un miroir. Zimmermann réinvente une ville en brouillant légèrement les cartes, à travers le prisme déformant d’une sorte de kaléidoscope. Tout a l’apparence de la réalité et pourtant…
LES ŒUVRES QUI COMPLETENT LE PROPOS
D’autres photographes et vidéastes sont venus travailler au Havre ces dernières années. Vicenzo Castella et Rut Blees Luxembourg sont intervenus dans le cadre d’une autre commande en 2009 (exposition « Voyages pittoresques » à Caen). Le premier, comme le photographe allemand Matthias Köch, privilégie une photographie quasi aérienne, prenant le contrepied de l’idée que l’urbanisme se comprend mieux au ras du sol. Rut Blees Luxembourg offre quant à elle, dans ses photographies nocturnes du Havre, des arrêts sur image fascinants de lieux forts qu’elle découvre au gré de ses promenades dans la ville et sur le port. Corinne Mercadier, tourne pour sa part le dos à la ville et investit la plage où le vent s’invite comme l’élément d’une scène éminemment poétique. Le chorégraphe et vidéaste Hervé Robbe revient quant à lui dans l’appartement Perret et propose une occupation décalée de ces lieux domestiques.
PARALLELLEMENT
Cette exposition fait écho à celle intitulée Portraits de villes - Le Havre-Brasilia-Niteroi, qui se tient actuellement au musée d’Art Contemporain de Niteroi au Brésil.
Celle-ci réunit aux côtés des clichés historiques de Lucien Hervé au Havre et à Brasilia, un ensemble d’œuvres – photographies et vidéos - de jeunes artistes français et brésiliens, ayant pour certains opérés dans plusieurs de ces villes. Certains revisitent l’héritage de Lucien Hervé, d’autres s’en éloignent pour proposer une approche critique et politique, mais aussi poétique ou intime de ces cités, de leurs bâtiments officiels comme des espaces privés, et de s’interroger sur la place pensée pour l’homme, ou revendiquée et conquise par lui.
*La commande publique :
La commande publique est la manifestation d'une volonté associant l'Etat (Ministère de la culture - Délégation aux arts plastiques) et des partenaires multiples (collectivités territoriales, établissements publics ou partenaires privés), de contribuer à l'enrichissement du cadre de vie et au développement du patrimoine national, par la présence d'œuvres d'art en dehors des seules institutions spécialisées dans le domaine de l'art contemporain. Elle vise également à mettre à la disposition des artistes un outil leur permettant de réaliser des projets dont l'ampleur, les enjeux ou la dimension nécessitent des moyens inhabituels.