Né à Yale (Oklahoma) en 1929, Chet Baker découvre le jazz par Stan Kenton. Après un passage dans l'armée en 1946-47, il entre au El Camino College de Los Angeles, où il étudie harmonie et théorie musicale.
C'est au Haig, un club de Wilshire Boulevard (L.A.) que sa chance surgit, au printemps 1952.
Gerry Mulligan, saxophoniste responsable de l'animation des soirées du lundi, monte son propre quartette. Chet passe au club, joue, est engagé. Le groupe entre dans l'histoire.
La programmation du lieu a été confiée à Richard (Dick) Dock, ex-trompettiste amateur, mais surtout, conseiller artistique de divers labels californiens. Pour le compte de sa propre marque, Pacific, celui-ci vient de contacter un jeune photographe dont on parle: William Claxton.
Californien de naissance, Claxton quitte UCLA - où il étudiait la psychologie - en 1951, pour devenir photographe professionnel. Passionné de jazz, il débute pourtant dans le métier comme spécialiste d'architecture, d'intérieurs et d'enfants. Il photographie des jazzmen au hasard de ses rencontres et de ses accointances. Ses images attirent l'attention de certains, de Dick Bock notamment, qui lui confie la réalisation des pochettes de sa marque. Claxton a alors une vingtaine d'années. Il devient vite le photographe attitré des labels de jazz californiens. Nous ignorons comment se fit la rencontre entre Claxton et Baker mais, ces jalons posés, elle était inévitable.
Claxton apporte à la photographie de jazz un ton nouveau et particulier, il est à la charnière de deux univers: celui du portrait des années 1930, où le jazzman frôle volontiers le grotesque, souvent caricature d'amuseur public, et celui du reportage d'après-guerre, découverte du monde du jazz et, devrait-on dire, de ses conditions de production. Les images de Baker que Claxton a notamment publiées dans Jazz (Twelvetrees Press) ou dans Young Chet sont exemplaires à cet égard. Il y immortalise un Chet superbe et séducteur, playboy irrésistible, trompettiste mythique, symbole de ce jazz «blanc et castré» (ainsi que le définissait le pianiste Kenny Drew) qui allait déchaîner les passions.
Le Baker de ces images ne figurera pas longtemps au panthéon du public américain, mais c'est une autre histoire…
Claxton est malgré lui le regard de la West Coast sur elle-même, son porte-parole et photographe quasi-officiel. Même s'il a photographié bien d'autres musiciens, d'Ellington à Wynton Marsalis, en passant par Ornette Coleman ou Miles Davis. Loin des atmosphères enfumées de Herman Leonard (www.hermanleonard.com) se fait alors, dans les années 1950, une photographie en lumière douce, caressante, qui enveloppe le sombre pour en atténuer la rudesse, matit le blanc pour en maîtriser l'éclat. Déjà se perçoit, dans ces images réalisées alors qu'il avait à peine vingt ans, une dérive qui constitue l'autre pan de son univers professionnel (Claxton reste un photographe aux talents multiples), la mode, et son pendant : une esthétisation de la vie, de la musique, de la dureté du jazz. Toute tension miraculeusement se désamorce. Le pittoresque de situation fait place à une véritable mise en scène, le spontané devient délicate étude et mise en lumière. La composition est bien plus complexe qu'il n'y paraît: la texture est douce, le contraste faible — à la différence des images de Herman Leonard —, la profondeur de champ le plus souvent effacée au profit d'un écrasement des volumes, ou au contraire outrée — je pense à certaines images du saxophoniste Art Pepper sur fond de route fuyant vers l'horizon —, ce qui revient un peu au même, le cadrage toujours subtil, l'angle surprenant.
En 1954 déjà, Claxton avait publié Jazz West Coast (Linear Productions, Santa Monica), alors seul véritable ouvrage photographique sur ce style.
«Sa seule apparition dans un studio d'enregistrement, écrivait alors le préfacier Willy McFarland, détend l'atmosphère (...). Claxton entretient avec les musiciens un rapport fait de respect amical et mutuel de l'art de l'autre. Il semble plus souvent écouter que photographier. Son désir de travailler dans la décontraction a modelé ses méthodes: il n'utilise que de petits appareils (Rolleiflex Xenar f:3,5 et Xenatar f:2,8c) s'interdisant tout attirail encombrant susceptible de déranger l'activité du studio. Pas de spot, pas de flash. Il utilise la lumière ambiante.»
Ces précisions permettent de mieux comprendre la spécificité des images de Claxton à cette époque, mais aussi son importance dans la reconnaissance du jazz californien, dont il fut avec une poignée d'autres (Ray Avery par exemple) le génial imagier.
BIBLIOGRAPHIE
PHOTOGRAPHIC MEMORY (Powerhouse Books, March 2002)
STEVE McQUEEN: Photographs by William Claxton (Arena, August 2000)
JAZZ SEEN (Benedikt Taschen Verlag, Cologne, Spring 1999)
LAUGH, Portraits of Comedians (William Morrow Publishers, New York, Fall 1999)
JAZZ POSTCARDS (Taschen, February 1998)
CLAXOGRAPHY, the Art of Jazz Photography (Nieswand Verlag, Hambourg 1995)
YOUNG CHET, A Photographic Memory of Legendary Jazzman Chet Baker (Schirmer/Mosel, Munich, 1993)
JAZZ WEST COAST, The Art of the Record Cover ( Bijitsu Shupan Shaw, Tokyo, 1993)