CDAN Centro de Arte y Naturaleza Doctor Artero, s/n 22004 Huesca Espagne
Le CDAN, Centre d’Art et Nature, propose un regard sur le paysage de Huesca à travers les images du photographe français Bernard Plossu. Au fil des années, Plossu a visité plusieurs endroits de la province de Huesca, appareil photographique en main, pour composer des archives photographiques de plus de 300 photos qui font désormais partie de la collection du CDAN.
En plus de l’exposition, un catalogue sera publié contenant des textes de l’écrivain Antonio Ansón qui, au cours de sa carrière, a étudié les liens existant entre la photographie et la littérature et a accompagné Plossu dans certaines de ses randonnées dans les montagnes de Huesca.
Fruit de la collaboration du CDAN avec l’École d’Art, l’artiste a dirigé un atelier sur la photographie du paysage en mars 2008 à Bara, Vallée de Nocito dans le Parc de la Sierra y Cañones de Guara. Trente personnes ont assisté à l’atelier, la plupart étant des élèves, des anciens élèves et des professeurs de l’École d’Art de Huesca, des artistes d’Aragon et d’autres zones d’Espagne. La première phase a été dédiée au travail sur le terrain à Guara. La deuxième, tenue en octobre, a permis aux élèves de montrer le résultat de leurs travaux à travers une projection à laquelle ont participé, en plus de Plossu et du personnel du CDAN, les photographes aragonais Rafael Navarro, Pedro Avellaned et Enrique Carbó, l’historienne de la photographie et commissaire Paloma Castellanos et l’écrivain Antonio Ansón. L’exposition de Plossu est accompagnée d’une sélection des travaux des élèves de l’atelier qui seront également recueillis dans un catalogue.
Le CDAN a voulu réunir photographie et littérature dans une publication transmettant le regard du poète Paco Grasa sur le même paysage que Plossu a parcouru. Le but est ainsi d’aller plus loin dans la création contemporaine en croisant deux disciplines artistiques, avec le paysage du Haut Aragon en toile de fond, pour contribuer à sa revalorisation culturelle.
Parmi les nombreuses définitions du paysage que nous pouvons rencontrer, Javier Maderuelo choisit celle qui définit le paysage comme « interprétation de ce qui se voit dans le pays (territoire) lorsqu’il est contemplé avec un regard esthétique ». Pays de paysages est la chronique d’un déplacement personnel, le regard que porte Plossu lors de ses voyages dans la province de Huesca, où l’idée de variété des paysages commence à se dessiner lorsqu’il contemple et parcourt un territoire.
Les visites régulières à Huesca pendant deux ans permettent de concevoir ce travail comme une archive de paysages, un carnet de lieux, ou plutôt, dans le cas de Bernard Plossu, comme une série de sensations saisies par une observation mélancolique qui recherche l’essentiel dans les choses. Parcourir une carte, traverser un territoire, reconnaître un lieu, observer une pierre, grimper au sommet d’une montagne, épier un oiseau, descendre dans un ravin, ne pas laisser de traces, emprunter des chemins, marcher et construire un paysage. Plossu éprouve le besoin naturel de bouger pour comprendre le monde. Il traverse le territoire de Huesca d’est en ouest, se perd physiquement et émotionnellement dans la particularité paysagère du piedmont pyrénéen, unité de transition entre les reliefs de la dépression de l’Èbre et les Sierras Exteriores (Montagnes Extérieures) des Pyrénées. Les sierras, comme il les appelle depuis sa première visite, procurent au nouveau venu l’émotion de se trouver face à une étendue encore infinie.
Les archives sur Huesca de Plossu racontent l’expérience du voyage. Le photographe est parfaitement conscient que ses tentatives pour capturer le paysage n’ont rien à voir avec des distances et des mesures, mais plutôt avec la pratique de la marche et du regard, avec les rapports qu’établissent entre eux les éléments, avec l’observateur et avec l’expérience du lieu. Son paysage est subjectif, parfois presque invisible, du fait même qu’il découle de l’expérience paysagère.
Les Sierras Exteriores constituent le bord externe des grandes couches du chevauchement pyrénéen, avec des canyons du nord au sud qui compartimentent des massifs calcaires, des reliefs aux formes cylindriques, des parois verticales entre le modelé des mallos et les dépressions érosives. Ces montagnes présentent un paysage unique en Europe. C’est sur cet axe de la carte que Plossu se place pour observer la chaîne centrale de la province : en direction du nord, des terres délimitées par les montagnes de la chaîne des Pyrénées, toujours présente en toile de fond ; tandis que vers le sud, depuis les premières élévations au-dessus de la dépression de l’Èbre, s’ouvre un point de vue exceptionnel sur les terres du plat pays.
Le voyage, entrepris d’abord sans finalité ni objectif, s’est déplacé vers une forme d’expérimentation ; le territoire de Huesca s’est s’imprimé directement sur la carte du territoire psychique du photographe, particulièrement là où l’horizon n’est pas limité. Passer du plus grand au plus petit, c’est, pour Plossu, le principe même de sa photographie ; d’où le choix du petit format pour cette série, miniatures de 7 x 11 centimètres, images 17 x 23 et ce un regard intime porté sur le paysage qui fait ressentir au spectateur qu’il est dans l’objectif de l’appareil au moment du déclenchement. Fidélité au format qui donne son identité à un travail refusant l’agrandissement comme moyen de séduction. On sait qu’à partir de son premier voyage au Niger en 1975 il passe de la couleur au noir et blanc, et c’est ainsi qu’il continue aujourd’hui à réaliser ses travaux, pour lesquels il n’utilise qu’un objectif de 50 millimètres. Le choix de l’appareil photo et du format l’éloigne de la dimension spectaculaire qu’impose le marché.
L’œuvre de Bernard Plossu abonde en descriptions spatiales et temporelles non conventionnelles. Ce qui frappe dans ses photographies, c’est la description minutieuse des routes qu’il parcourt avec ses amis. Car Plossu, contrairement à d’autres voyageurs, ne marche pas seul. Il recherche la compagnie et la rencontre avec d’autres regards, comme ceux de Pedro López Esparza, Daniel Zolinsky, David Rodriguez Gimeno ou Antonio Ansón. Ce dernier, qui lui a fait découvrir les terres de Huesca, se charge ici de nous guider parmi les voix du paysage.
Chez Plossu, la représentation du paysage se construit, parfois même jusqu’à l’obsession, par la répétition du même motif observé du même endroit. Dans le cas des montagnes de Huesca, l’objet n’est pas sublime, ni même pittoresque ; c’est par exemple une masse calcaire qui passerait inaperçue aux yeux de quelqu’un d’autre ou, plus récurrent encore, le vol enviable d’un oiseau, son point de vue, sa position privilégiée. Le paysage qu’il photographie reflète aussi l’activité humaine, les parcelles, les tunnels, la trace de l’homme sur la terre. Les révélations de Plossu s’étendent des roches archétypales aux champs cultivés. L’attitude réside dans la marche, dans la lenteur de son rythme, apprise de son père, dans l’expérience du corps déplaçant les sens à travers le territoire de Huesca
Dans les cours comme dans les publications du CDAN, nous invitons ardemment à penser l’idée de paysage. « Actuellement — écrit Javier Maderuelo dans le prologue du livre Paisaje y territorio — la prise de conscience du paysage et de ses valeurs au sein de différentes disciplines est en train de former une sensibilité paysagère que s’étend peu à peu à de larges secteurs de la société ». Nous sommes convaincus que l’art permet de révéler les qualités propres à chaque enclave, à chaque territoire, et qu’il aidera à faire reconnaître les pays en tant que paysages. Les images de Plossu contribuent, sans aucun doute et dans une large mesure, à lire et à comprendre le territoire de Huesca comme un pays de paysages.