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L’acouphène et le photon
Le travail photographique de Kumi Oguro lorgne depuis ses débuts, peut-être inconsciemment, peut-être malgré lui, vers le septième art. Un travail de fin d’études a d’ailleurs donné l’occasion à la photographe d’approfondir les rapports (théoriques, historiques, plastiques, manifestement nombreux) entre sa propre photographie et le langage du cinéma: imprégnation qui n’est pas à proprement parler une dette, qui ne se nourrit pas de références, de citations explicites ou complaisantes, mais cherche au contraire à tâtons, avec spontanéité, sa propre voie, ses propres marques. Depuis ses premières expositions et publications, et jusque dans les développements récents de sa série très personnelle «Noise» à présent rassemblée sous la forme cohérente d’un livre, ces rapports (mise en scène des lieux, mise en situation des corps, usage expressionniste de la lumière, jeu théâtral des acteurs, indices marquants d’un hors-champ, effets de tension, clins d’oeil à la
logique des genres…) se sont encore indéniablement complexifiés, mais aussi diversifiés.
Une chose semble apparaître désormais avec une évidence sans cesse accrue: les images de Kumi Oguro sont à la fois exposition et transposition. Mais de quoi, et dans quoi?… L’on perçoit çà et là, par éclats, par petites touches, par bribes à voir ou à entendre, des éléments de réponse subtils et disparates qui ne touchent pas qu’au cinéma…
Du «bruit»… Comme une petite musique de radio dérangée en fond sonore par un élément perturbateur, un grésillement, une torsion à l’arrière-plan, un déchet indomptable, inidentifiable, inutilisable (s’il faut en croire les théoriciens de la communication), qui vient brouiller la limpidité du message, la béatitude de l’écoute.
Interférence entre la perception consciente et d’autres choses: d’autres photographies, peut-être, ou les images, à la fois précises et ambiguës, surgies de nos nuits, jamais muettes, et des rêves qui les peuplent.
De la danse… Une chorégraphie suspendue, des gestes en attente de s’achever, des désirs dans l’impasse de s’accomplir. Avec grâce, ces élans dessinent l’énergie, les courbes, les rappels, les appels (mais le silence aussi est un bruit: il n’y a pas toujours de réponse).
Un abandon et un don en pure perte, qui ne circulent que dans et pour l’image – le monde est ailleurs, invisible. (…)
Extrait du texte de la monographie «Noise» de Kumi Oguro par Emmanuel d’Autreppe, mai 2008
The tinnitus and the photon
Perhaps unwittingly or even in spite of itself, Kumi Oguro’s photographic work has from the outset been drawn towards cinema.
A final-year project also provided an opportunity for the photographer to explore the theoretical, historic, visual and manifestly numerous relationships between her own photography and the language of cinema. This permeation could not be described as a debt in the strict sense, nor is it nurtured by explicit or obliging citations or references. Instead it feels its way, spontaneously seeking its own path and its own markers. From her earliest exhibitions and publications and even in the recent developments of her highly personal series “Noise”, compiled here in the coherent form of a book, these relationships (the staging of locations, placing bodies in real-life situations, the expressionist use of light, the theatrical play between actors, indications of an off-camera area, effects designed to create tension, veiled references to the logic of genres, etc.) have become undeniably more complex, but also increasingly diverse. One aspect now seems to emerge with ever greater clarity.
Kumi Oguro’s images are both exhibition and transposition, but of what and into what? Here and there, in sudden bursts or by little touches, in snatches that are revealed or suggested, we perceive subtle, disparate fragments of an answer which relate not only to cinema…“Noise”… Like light radio music whose incidental sound is disturbed by an interfering factor, a crackling or distortion in the background, invincible, unidentifiable, unusable waste (if we are to believe communication theoreticians), the clarity of the message, the beatitude of listening is disrupted. The interference is between our conscious perception and other things: other photographs perhaps or the precise yet ambiguous images conjured up by the never silent night, or our dreams which inhabit it.
Dance… A suspended choreography, gestures waiting to be completed, desires that will never be fulfilled. Gracefully, these advances describe energy, curves, reminders and appeals (but silence is also a noise, for there is not always an answer). We sense abandonment and relinquishment to utter loss, which only circulate within and for the image – as the world is elsewhere, invisible. (…)
Emmanuel d’Autreppe, May 2008
Translation: Laura Austrums – Courtesy Le Caillou bleu