"L’ébauche d’une narration semble se heurter au côté mat, frontal, obstiné et littéral de ce qui nous est montré : terrains vagues, âmes vagues, lieux et êtres à l’abandon, remparts lisses et aseptisés, lambeaux de ville qui s’épient ou se défont, d’une nature qui se cherche, sous une lumière crue presque irréelle ou dans la pénombre. Mais c’est précisément à cela que tiennent les ambiances cinéma des photos de Mazzoni, à cet entre-deux, à cet imprévisible côté chien et loup qui transfigure – ou mieux, imprègne – le banal : un univers familier mais en décalage, une « inquiétante étrangeté » aux frontières troubles, le soupçon que la vraie vie est ailleurs et que toute image n’est que mentale… La réalité semble contenir son propre double ou son envers, la surface des eaux être en contact direct avec le fond du puits, comme dans certains films de Bergman, de Lynch, d’Antonioni ; et l’on s’attend à voir surgir, au détour d’un angle sombre ou du fouillis d’un buisson, une main tendant un pistolet, un rescapé hagard en quête d’une identité usurpée, des joueurs de tennis qui cherchent une invisible balle ou, comble de l’étrange, un simple visage surgi d’une fourrure. L’image dès lors n’aura de spectaculaire que ce que notre imaginaire lui prête. C’est un journal de bord ou de bordure, une chronique existentielle, la trame erratique des élans d’un être inquiet qui se laisse dériver, qui se méfie des histoires trop belles à raconter, et qui sans cesse questionne ce qui l’entoure, tout en parvenant parfois à en habiter la timide beauté. L’intitulé lui-même sous lequel on peut regrouper ces séries (zones) lorgne à l’évidence vers Tarkovski et Chris Marker – poètes et témoins encore si humains d’une discrète et impalpable apocalypse.Mais ce travail n’est pas pour autant référentiel :il construit un monde d’une remarquable cohérence interne,
où règne apparemment un calme plat, mais d’où sourdent de bas bruits perturbateurs, entre la prose du bitume et le souffle des feuillages remués par le vent. Peut-être des battements de coeur, et quelques vibrations de couleur. Mais souvent, reflets et dédales d’une trop moderne solitude, d’un malaise prégnant.
Les images de Michel Mazzoni agitent, d’un même imperceptible bruissement, le sens du récit et la direction du regard, sans avoir besoin d’esquisser le moindre geste. Et nous redisent que choisir un point de vue reste la meilleure manière de commencer à savoir et à dire qui nous sommes, à voix basse, au milieu de nulle part, face à personne."
Emmanuel d’Autreppe, extrait de la préface
25 euros /// 80 pages /// Format 16,5 x 21 cm - 35 photos
Couverture souple
Collection : Côté photo
ISBN 978-2-87340-233-4