Espace Dialogos 10 rue raspail 94230 Cachan France
Galerie Dialogos 1 place de Thorigny 75003 Paris France
La Galerie Dialogos de Paris et l’ESPACE DIALOGOS de Cachan présentent simultanément une exposition personnelle consacrée à ESTELLE LAGARDE.
Trois séries photographiques sont ainsi proposées. Leurs points communs ? Des mises en scènes théâtralisées dans des espaces délabrés, traversés de présences à la fois humaines et fantomatiques. Une atmosphère onirique et inquiétante dont la seule issue positive est la lumière. Une lumière diffuse et diaphane, un clair obscur qui laisse envisager une porte de sortie vers l’avenir.
Réalisée en 2008, « HÔPITAL » est la série la plus récente et la plus inquiétante. Ces quinze véritables tableaux photographiques nous invitent à la rencontre de bien curieux protagonistes, revêtant tous les attributs des personnels hospitaliers ou de leurs patients.
À son habitude, Estelle Lagarde brouille les cartes et annihile les repères. C’est une sourde angoisse qui traverse chaque mise en scène photographique.
Le lieu tout d’abord : un ancien hôpital ou institut médical. Il nous est familier, issu d’une autre époque, mais également enfoui dans notre imaginaire, dans nos peurs. Nul indice pour le situer géographiquement. On sait seulement que ce lieu appartient au passé, et pourtant quelque chose s’y passe encore. Peut-être un retour à la vie, à sa fonction première ou à une nouvelle destination…
Nous entrons à l’intérieur : un hall, de longs couloirs, une salle d’opération, une salle d’attente, une salle de cours, un dortoir, un bureau, une bibliothèque… La plupart des personnes y semblent en attente. Tour à tour témoins ou acteurs de scènes inquiétantes, non définies, ou se mêlent malaise, solitude, mais aussi violence et oubli.
La narration photographique que nous propose Estelle Lagarde est plus directe, moins suggérée que dans ses précédentes séries.
Nous connaissons désormais la vocation du lieu, la fonction des personnages, et pourtant le doute est toujours là, encore plus puissant.
L’artiste nous propose une métaphore de nos peurs face à la maladie, de nos craintes face à un univers redouté, et paradoxalement « inhospitalier ».
Ce lieu est un hôpital, mais le restera-t-il à l’avenir ? Les travaux qui y ont commencé le destinent peut-être à une nouvelle affectation. Les personnages qui l’occupent en sont peut-être les gardiens-fantômes, décidés à ne plus jamais en partir, ayant chassé les ouvriers du chantier.
Ou au contraire sont-ils prisonniers de cet endroit, condamnés à jouer éternellement un simulacre de médecine, mais aussi un simulacre de vie en commun.
En résonnance à l’actualité, ces images ne sont-elles pas aussi le constat outré de l’état de l’institution hospitalière ? Au cœur d’un monde en pleine mutation, où la pression économique est la plus forte, l’hôpital n’est-il pas en train de se déshumaniser ? Le manque de moyens pointé par les personnels soignants ne laisse-t-il pas le choix à ces derniers de délaisser leurs patients, sinon de leur consacrer moins de temps ? De ce fait, ces derniers se sentent-ils plus isolés, abandonnés, ainsi que nous le montrent ces mises en scène photographiques ?
La série photographique intitulée « CONTES SAUVAGES » a été réalisée en 2007. Comme dans tous les travaux présentés dans le cadre de cette double exposition, Estelle Lagarde nous confronte à un environnement où rien ne semble tout à fait fini, ni complètement déterminé. C’est au milieu de grands appartements en ruines, que l’on imagine faire partie d’anciens châteaux ou manoirs, que de mystérieux personnages se livrent à de théâtrales mises en scène. Où sommes-nous ? Qui sont-ils ? À quelle époque appartiennent ces êtres fantomatiques ?
Ces créatures grimées et masquées ne semblent pas se rendre compte de la décrépitude des lieux où elles s’adonnent à leurs cérémonies. Peut-être ont-elles fui ces palais en pleines tourmentes, et le calme revenu, reprennent-elles possession des lieux sans en voir la déchéance.À l’instar du personnage incarné par Nicole Kidman dans le film « Les Autres » d’Alejandro Amenàbar, les protagonistes de ces images n’ont-ils pas conscience de leur mort passée ? N’ont-ils pas réalisé qu’ils ne sont plus que des empreintes dont la lumière transperce parfois la matérialité ? Ou bien se persuadent-ils que rien n’a changé ?
Cette dernière question, Estelle Lagarde nous la pose et se la pose à elle-même. La photographie n’est-elle pas le réceptacle de la comédie de la vie à laquelle chacun d’entre nous s’oblige à participer ? Les masques arborés par les personnages des « Contes Sauvages » ne sont-ils pas les masques que nous portons ? Ceux aussi qui accompagnent également nos poses lorsque l’appareil photographique tente de nous saisir dans notre vérité ?
Estelle Lagarde interroge l’image, la représentation photographique en même temps qu’elle se joue de la réalité mais aussi de la théâtralité.
Chaque cadre ancien minutieusement choisi par l’artiste pour enserrer ses photographies introduit et conclut la scène qui nous est offerte, comme le rideau rouge dévoile et termine un spectacle.
Ces « Contes Sauvages » nous transportent dans un espace surréaliste où le vrai et le faux se confondent, où le passé et le futur s’annihilent. Reste un temps suspendu où chaque imaginaire saura trouver ses propres marques, ses propres explications, ses propres fantasmes.
Dans la série qu’elle réalise en 2006, c’est le même questionnement obsessionnel qui pousse l’artiste à enfermer cette « DAME DES SONGES » dans un univers laissé à l’abandon, vestige d’un temps faste et glorieux.
Désœuvrée, le passage d’un espace à l’autre est l’occasion pour cette élégante figure féminine d’une nouvelle toilette, d’un nouvel apparat. Est-ce une manière pour elle de tromper l’ennui dans cet univers de solitude, après le départ des habitants et la désagrégation des lieux ? Est-elle seulement consciente de l’état de ceux qu’elle parcourt. Tout incite à croire qu’elle ne le voit pas, ou qu’elle ne veut pas le voir.
Tout nous pousse à croire qu’elle se joue à elle-même la comédie. La comédie d’une vie immuable, dans laquelle rien ne doit changer. C’est pourquoi elle reste altière et digne, maîtresse de lieux comme de son existence.
Mais de son existence, qu’en est-il ? Ne fait-elle pas partie du passé ?
Cette « Dame des Songes » est un fantôme qui revient hanter la demeure de son ancienne gloire. Chapeautée, en robe de soirée, en tenue de cocktail, elle attend les invités d’un événement mondain qui n’aura plus place dans cet endroit. C’est un fantôme qui se refuse à réaliser son état, qui sauve les apparences pour ne pas perdre la face vis-à-vis d’elle-même.
C’est l’obligation pour elle de jouer un simulacre de vérité pour éviter de se rendre compte du chaos et du vide qui l’entourent.
Et si la visite de la « Dame des Songes » dans cette ancienne demeure était en fait son ultime visite ? Elle procède à l’inventaire de chaque pièce, revêtant pour chacune d’entre elles le costume de circonstance, dans l’attitude adéquate. Une fois sa tâche accomplie, la lumière la transpercera-t-elle au point de la dématérialiser et de la libérer, enfin, de ce lieu de désolation ?
Parfois elle se dédouble, laissant derrière elle l’empreinte de ce qu’elle fût en ces lieux. De son passage ne subsitera qu’une enveloppe vide : le vestige d’une mue provoquée par la lumière qui la guide vers l’extérieur.
Entre surréalisme et théâtralité, l’artiste interroge l’espace, l’occupant, et la relation qui les unit. Décors visibles sur les images d’Estelle Lagarde, les gravats et la décrépitude représentent le chaos et le délabrement de notre univers que nous ne savons ou ne voulons pas voir.
C’est à la comédie de la vie que nous convie la « Dame des Songes ».
Estelle Lagarde joue avec le temps et la lumière. Basée sur une durée de pause plus ou moins longue, la technique de l’artiste génère des lumières irréelles, enveloppe les personnages d’un halo mystérieux et fragile. Le souffle délicat de la vie y apparaît comme le bien le plus précieux mais également le plus éphémère.
Ces trois séries photographiques questionnent tous les liens qui nous unissent à notre environnement, là où nous construisons notre histoire.
C’est à l’ensemble de ces réflexions que nous engagent les images d’Estelle Lagarde.
Mais dans cet inquiétant théâtre de faux-semblant, c’est peut-être cette douce lumière distillée sur ces mises en scène qui y révélera l’espoir et la volonté d’une renaissance.
Olivier Bourgoin